top of page

La GroKo allemande, une chance pour l'Europe


L'accord de la future grande coalition conclu vendredi entre les chrétiens-démocrates d'Angela Merkel et les socio-démocrates de Martin Schulz devrait permettre une relance du projet européen.

En prononçant son discours sur l’Europe à la Sorbonne, le 26 septembre dernier, trois jours après les élections législatives allemandes, Emmanuel Macron a cherché à imposer son agenda aux futurs partenaires de la coalition qui prendrait les rênes à Berlin. Son pari est réussi : le pré-accord de la future grande coalition (GroKo, en abréviation allemande) conclu vendredi matin entre les chrétiens-démocrates de la CDU-CSU de la chancelière Angela Merkel et les socio-démocrates du SPD de Martin Schulz, s’ouvre sur la question européenne et non sur les problèmes intérieurs et il répond positivement à ses principales propositions. La future majorité se dit prête à travailler main dans la main avec la France pour approfondir et l’Union et la zone euro afin qu’elles résistent «mieux aux crises mondiales».

Ce qui est frappant dans ce document de 28 pages est, non seulement, qu’il met l’Europe au centre de l’action du futur gouvernement, à l’heure où le retrait américain laisse l’Union sans allié, mais surtout qu’il ne trace aucune «ligne rouge», ouvrant ainsi grand le champ des possibles. Mieux, l’accord de GroKo jette par-dessus bord l’un des tabous allemands, il est vrai déjà largement entamé, celui du refus de toute solidarité financière au sein de la zone euro. Ainsi, le SPD a réussi à imposer à ses partenaires réticents de se rallier à la proposition de Macron de créer un budget de la zone euro.

Ce budget aurait, dans un premier temps, trois missions:

- intervenir afin d’aider un pays victime d’un choc asymétrique (style crise de la dette publique),

- soutenir les réformes structurelles nécessaires pour renforcer les économies des Etats en crise

- et, enfin, aider à «la convergence sociale» des États de la zone euro. Seul ce troisième volet exigera des ressources permanentes. C’est seulement dans un second temps que ce budget spécifique financera de façon permanente des investissements dans les dix-neuf pays de la zone euro.

Évidemment, les partis de la coalition insistent sur la nécessité de renforcer le contrôle des budgets nationaux afin de respecter le Pacte de stabilité (même s’il n’est pas nommé) ainsi que la coordination des politiques économiques. Plus intéressant, la lutte contre la fraude fiscale et «l’évasion fiscale agressive» sont mises sur le même plan que le respect de l’équilibre budgétaire : cela est certes logique, puisque la perte de recettes se traduit soit par des déficits, soit par une réduction des dépenses publiques, mais c’est un langage nouveau venant de Berlin.

Pas de mention d'un ministère des Finances européen

La GroKo rappelle aussi sa volonté de transformer l’actuel Mécanisme européen de stabilité (MES) chargé de prêter des fonds aux pays en crise en un Fonds monétaire européen (FME) sur le modèle du FMI, afin qu’il puisse restructurer les dettes publiques (éventuellement en les annulant en tout ou partie). Mais, alors que Berlin s’y opposait jusqu’à présent, la nouvelle GroKo accepte qu’il soit intégré au droit communautaire, ce qui ouvre la voie à un vote à la majorité qualifiée au sein du FME, et surtout qu’il soit soumis au contrôle du Parlement européen.

En revanche, l’accord ne mentionne pas la proposition de Macron de créer un ministère des Finances européen (qui fusionnerait les fonctions actuelles de président de l’Eurogroupe, instance où siègent les ministres des Finances, et celle de commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires).

Même impasse sur le Parlement de la zone euro auquel Martin Schulz, ancien président du Parlement européen, est opposé : il préfère que ce soit l’actuel Parlement en formation zone euro qui exerce le contrôle démocratique sur la Commission et l’Eurogroupe.

Une coalition plus sociale que la précédente

Côté Union à 27 (le mot Brexit n’est pas une seule fois prononcé…), la nouvelle majorité se montre aussi pleine d’allant, notamment dans le domaine budgétaire, le nerf de la guerre : «nous sommes également prêts à augmenter les contributions de l’Allemagne au budget de l’UE», proclame-t-elle, alors que les discussions sur le cadre budgétaire 2021-2028 ont déjà commencé. Un sacré changement, Berlin se battant depuis 1999 afin de diminuer l’argent qu’elle verse à l’Union. Surtout, elle lève une hypothèque majeure qui pèse sur le montant du budget après le départ de la Grande-Bretagne, la contribution nette de ce pays s’élevant à plus de six milliards d’euros, soit une perte sèche d’autant : l’effort que promet l’Allemagne, s’il est suivi par d’autres pays dont la France, permettra d’éviter des coupes trop importantes dans les politiques européennes.

La future GroKo est aussi nettement plus sociale que la précédente : elle demande la conclusion d’un «Pacte social» afin de «renforcer les droits sociaux fondamentaux, en particulier l’égalité de rémunération pour un travail égal au même endroit dans l’Union» et de «coordonner les politiques du marché du travail». Il s’agit aussi de créer un «salaire minimum» et un «filet social de base» dans tous les pays de l’Union. Côté fiscal, l’accord de coalition insiste sur la nécessité de taxer les géants du numérique et d’harmoniser la fiscalité des sociétés : définition d’une «assiette fiscale consolidée commune» (ce qui est taxé) et d’un taux minimum d’imposition des sociétés. Elle rappelle son soutien à la création d’une «taxe substantielle sur les transactions financières» (TTF).

Un «nouveau départ» pour l’Europe, selon Merkel

En revanche, sur la réforme des institutions communautaires, l’accord de coalition reste vague y compris lorsqu’il affirme vouloir renforcer le rôle du Parlement européen.

Il n’y a en réalité qu’un seul point de divergence, et non des moindres, avec la France : celle du rôle de la future défense européenne. Pour la GroKo, ce ne peut-être qu’une «puissance européenne de maintien de la paix» ce qui exclut tout caractère offensif : or, vu de Paris, pour maintenir la paix, il faut parfois l’établir…

Même si le diable réside dans les détails, l’accord semble donc large entre les deux rives du Rhin, ce qui devrait permettre une vraie relance du projet européen. C’est un «nouveau départ» pour l’Europe s’est d’ailleurs réjoui Angela Merkel, la chancelière allemande, qui va jouer sa place dans les livres d’histoire en essayant de laisser une marque sur la construction communautaire. «Cet accord est bon pour l’Allemagne, bon pour la France et surtout bon pour l’Europe», lui a fait écho Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement français.

Curieusement, les propositions de la Commission apparaissent en comparaison, particulièrement timorées alors que l’exécutif européen est censé être le «Monsieur plus» de l’Europe. Un exemple ? Il n’a pas osé proposer un budget permanent de la zone euro. Il faut dire qu’il a longtemps parié sur une coalition entre la CDU-CSU et les libéraux eurosceptiques du FDP… Une erreur d’analyse qui risque de la placer sur le bas-côté de l’histoire.

http://www.liberation.fr/planete/2018/01/13/la-groko-allemande-une-chance-pour-l-europe-de-macron_1622101

bottom of page