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Europe : divorce à l’italienne


Photo Alessandro Bianchi. reuters

La percée des «antisystème» du Mouvement Cinq Etoiles et des extrémistes de la Ligue aux législatives de dimanche risque d’encore compliquer la tâche à ceux qui, comme le président français, appellent à plus d’intégration européenne.

Renoncer à tout changement profond condamne de toute façon l’aventure européenne, fait-on valoir à Paris : si les peuples du Vieux Continent ne sont pour l’instant pas tentés par l’aventure du Brexit, ils réclament une autre Europe, comme vient de le montrer une nouvelle fois le vote italien. Pour le président français, les europhobes se nourrissent de cette Europe molle dont il ne veut plus. Reste à savoir si Berlin est vraiment prêt à le suivre, au risque de briser cette grande Europe qui reste, au fond, un rêve allemand

Le chaud et le froid ont soufflé sur l’Union européenne dimanche (4 mars 2018). A la bonne nouvelle venue d’Allemagne, un accord de grande coalition aux accents europhiles entre chrétiens-démocrates et socio-démocrates, a succédé la mauvaise, venue d’Italie, où les partis eurosceptiques et europhobes ont largement gagné les élections. Au moment où l’axe franco-allemand semble enfin redevenu fonctionnel, c’est un membre fondateur de l’Union, troisième économie de la zone euro, qui fait brutalement défection. Ce qui risque de compliquer, voir de rendre impossible la relance de l’intégration européenne ardemment défendue par Emmanuel Macron. Néanmoins, le chef de l’Etat français a répété, lundi, son engagement «à défendre cette Europe qui protège, cette Europe de l’ambition [qu’il] promeu[t] depuis [son] élection».

Démagogues

Il faut cependant se méfier des clichés. Il n’y a pas d’un côté les gentils fédéralistes européens, le couple franco-allemand, face aux méchants souverainistes en Italie, dans les pays d’Europe de l’Est ou du Nord. La question européenne divise la plupart des familles politiques du Vieux Continent. Ainsi, le Mouvement Cinq Etoiles est multiforme et les europhiles y sont nombreux, si ce n’est majoritaires, comme en témoignent les tentatives des Verts et des libéraux européens de les attirer dans leur groupe politique au Parlement européen. A l’inverse, on aurait tort de croire que la GroKo (Grosse Koalition) allemande est alignée sur les idées françaises en matière d’approfondissement de l’Union. Tant au sein de la CDU que du SPD, pour ne pas parler des Bavarois de la CSU, les réticences demeurent extrêmement fortes dès que l’on aborde la question de la solidarité budgétaire entre pays de la zone euro…

Surtout, il ne faut pas oublier que les démagogues ont gagné des points en Italie et en Allemagne. Non pas parce qu’il y avait trop d’Europe, mais au contraire pas assez, notamment lors de la crise migratoire. Autrement dit, le vote italien complique un peu plus la donne européenne, mais ne la change pas fondamentalement.

Rejet des listes transnationales

Le chef de l’Etat français a pu toucher du doigt, bien avant le 4 mars, les limites de ses ambitions pour l’Europe lors du large rejet par le Parlement européen, le 7 février, par 368 voix contre 274, de sa proposition de créer des listes transnationales pour les élections européennes. Ce n’était pourtant qu’une «réformette», puisqu’il s’agissait d’affecter à ces listes 27 sièges sur les 751 que compte l’Assemblée. Mais c’en était déjà trop pour la droite qui a voté contre quasiment comme un seul homme, emmenée par la CDU qui domine de la tête et des épaules le PPE (Parti populaire européen, qui regroupe presque tous les partis conservateurs). Et n’a pas hésité à s’allier avec les eurosceptiques et les europhobes pour torpiller cette proposition. Cet épisode a aussi montré qu’Angela Merkel jouait un jeu pour le moins trouble vis-à-vis de son ami Emmanuel Macron, puisque jamais son parti n’aurait voté contre ses instructions… Quelques jours plus tard, lors du sommet informel du 23 février, le chef de l’Etat n’a pas rencontré plus de succès auprès de ses homologues lorsqu’il est revenu à l’assaut pour essayer de les convaincre de donner leur feu vert à ces listes, amorce d’un espace public européen.

Ce sommet a plus largement confirmé le peu d’appétence de ses partenaires pour un nouvel approfondissement de l’Union qui va bien au-delà des habituelles réticences à se lancer dans le long et périlleux chemin menant à un changement des traités. Ainsi, les listes transnationales ne nécessitent aucune conférence intergouvernementale (CIG), pas plus que l’abrogation du «protocole irlandais» qu’une majorité des Vingt-Sept a refusé au cours de ce même sommet. Cela aurait pourtant permis de limiter la taille de la Commission à 18 ou 19 commissaires contre 28 actuellement, comme le prévoyait à l’origine le traité de Lisbonne de 2007.

Approfondissement de la zone euro

De même, l’approfondissement limité aux seuls 19 pays de la zone euro a du plomb dans l’aile. Dans le système européen, même les changements de traité qui ne concernent qu’une partie des pays doivent être approuvés à 27. Ce qui ouvre la porte à un chantage en bonne et due forme de la part des 9 pays non membres de l’euro. Et à supposer que ces derniers restent l’arme au pied, il faudrait au minimum un accord à 19. Or, les démagogues eurosceptiques dans la zone euro sont au pouvoir ou proche du pouvoir en Autriche, en Slovaquie et peut-être demain en Italie… En outre, à cette césure entre europhiles et eurosceptiques s’en superpose une seconde entre Nord et Sud, les premiers ne voulant pas entendre d’une solidarité financière et d’un partage des risques budgétaires ou bancaires. Même entre les deux rives du Rhin, l’accord est loin d’être fait. Berlin bloque toujours sur la mutualisation des garanties des dépôts bancaires ou renâcle à accepter de vrais transferts financiers Nord-Sud, pourtant nécessaires pour limiter l’ampleur d’une future crise.

Les désaccords sont aussi nombreux sur l’harmonisation fiscale et sociale, la défense, l’immigration, l’asile, etc. En imaginant même qu’un petit groupe de pays soit prêt à aller de l’avant sur une partie de ces sujets, quelle forme prendrait un tel accord ? Et surtout quelles institutions le mettraient en œuvre ?

Rapport de force

Il est bien sûr possible de ne pas créer d’institution particulière, l’avant-garde coopérant simplement sur une base volontaire. Mais l’expérience a montré que ce genre d’arrangement intergouvernemental était à la merci d’un simple changement de majorité dans un Etat.

La seule voie efficace serait donc de créer une Union dans l’Union dotée de ses propres institutions. Mais cela créerait une crise majeure en Europe. D’autant qu’à terme, l’UE actuelle risquerait de n’être plus qu’une grande zone de libre-échange, les moyens budgétaires se concentrant sur le cœur nucléaire de la nouvelle Europe.

Cela étant, la seule perspective de voir quelques pays se lancer dans une aventure fédérale pourrait faire naître des vocations : la France estime qu’il ne faut pas écarter d’emblée la crise comme moyen pédagogique de changer un rapport de force politique.

Renoncer à tout changement profond condamne de toute façon l’aventure européenne, fait-on valoir à Paris : si les peuples du Vieux Continent ne sont pour l’instant pas tentés par l’aventure du Brexit, ils réclament une autre Europe, comme vient de le montrer une nouvelle fois le vote italien. Pour le président français, les europhobes se nourrissent de cette Europe molle dont il ne veut plus. Reste à savoir si Berlin est vraiment prêt à le suivre, au risque de briser cette grande Europe qui reste, au fond, un rêve allemand

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