La France dispose d’une industrie de défense solide qui lui permet, si elle le décide, de lancer ses propres programmes d’armement sans recourir à des coopérations industrielles au niveau européen. Évidemment, cela vaut pour tout ce qui touche à la dissuasion et aux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).
Mais pas seulement puisque, par exemple, le programme de Frégate de taille intermédiaire (FTI) a été lancé dans un cadre national, tout comme d’ailleurs le projet SCORPION et le Missile Moyenne Portée (MMP) pour l’armée de Terre.
Seulement, souligne la Cour des comptes dans un rapport qu’elle vient de publier, la multiplication des besoins exprimés par les Armées (Système de combat aérien du futur, nouveau porte-avions, successeur du char Leclerc, etc…) fait que tous ces projets ne pourront être développés seulement par l’industrie française de l’armement.
« Le cumul de ces besoins d’armement conventionnel rend presque impossible la voie nationale pour l’ensemble d’entre eux, et la volonté de maintenir une industrie nationale et européenne compétitive, susceptible de contribuer à l’autonomie stratégique européenne, ne rend pas souhaitable l’achat de matériels développés hors du continent », lit on dans ce rapport.
Cela étant, si elle a pris l’intiative, par le passé, de lancer seule des programmes importants (Rafale, VBCI) faute de consensus sur des besoins communs avec ses partenaires européens, la France conduit actuellement plusieurs projets en coopération (hélicoptères NH-90 et Tigre, avion de transport A400M, etc).
« Chaque année, la France investit environ 2 milliards d’euros dans des programmes conventionnels réalisés en coopération avec des partenaires européens », rappelle ainsi la Cour des comptes. Mais, souligne-t-elle, le bilan industriel est constraté.
Si ces coopérations permettent de réduire, en théorie, les coûts de développement et d’acqusition (via un effet d’échelle), ces avantages sont « compensés, dans l’état des pratiques observées, par des retards » (et donc des surcoûts).
« Certes, les grands programmes européens ont permis d’alimenter les bureaux d’études et les capacités de production d’entreprises européennes, mais ils n’ont pas encouragé l’intégration industrielle, inégale selon les secteurs d’activité », estiment les magistrats de la rue Cambon. Et « les industries européennes de défense demeurent sous la double menace de la concurrence américaine et de celle des pays émergents », poursuivent-ils.
Qui plus est, « la plupart des grands programmes (ndlr: européens) en cours ont rencontré des succès technologiques, parfois remarquables, mais aucun n’a atteint la totalité des caractéristiques militaires espérées et n’a respecté son calendrier », souligne la cour des Comptes. Et certains d’entre-eux sont « en outre affectés de travers propres, à savoir une durée plus longue que les programmes nationaux, des montages industriels complexes et la multiplication des versions d’équipements produits, en raison d’une harmonisation insuffisante des besoins militaires entre les États participants. »
Si le programme franco-italien « Famille de missiles sol-air futurs » (FSAF – ASTER) est un succès, il y aurait beaucoup de choses à dire sur d’autres projets.
Bien que ses qualités en terme de capacité d’emport à longue distance et de livraison sur des pistes sommaires sont reconnues, l’A400M « n’a pas encore atteint les pleines capacités tactiques attendues, avec des restrictions persistantes dans les opérations de parachutages d’hommes et de matériels », ce qui fait l’objet de développements encore en cours, dans un « contexte parfois tendu entre les États et l’industriel maître d’œuvre (Airbus) », rappelle la Cour des comptes.
L’hélicoptère d’attaque Tigre? « Un succès technologique coûteux qui a conduit les États à réduire fortement leurs commandes » et « souffrant aussi d’une très faible disponibilité », jugent les magistrats. Quant au NH-90 « Caïman », s’il connaît un « succès relatif à l’exportation », il a été victime de « nombreux retards ». En outre, le défaut « d’uniformisation des besoins a suscité de multiples versions, et sa réalisation partagée entre deux industriels concurrents [ndlr, Airbus Helicopters et AgustaWestland, associés à Fokker au sein du consortium NHIndustries] est un contre-exemple à ne pas suivre », préviennent-ils. D’autant plus que le maintien en condition opérationnelle (MCO) de ces appareils (en particulier la version « frégate) est loin d’être satisfaisant.
Aussi, à l’heure où l’on parle de coopération franco-allemande pour développer un nouvel avion de combat et le successeur des chars Leclerc et Leopard, la Cour des comptes suggère de que les États partenaires se mettent d’accord pour « harmoniser au maximum les besoins capacitaires et les calendriers budgétaires, afin de limiter le nombre de versions des matériels et de favoriser l’effet de série lors de la phase de production » et de « renforcer l’influence française auprès des structures de l’Union européenne. »
Sur ce dernier point, il s’agit d’avoir un oeil (voire indirectement la main puisqu’il est question d’influence) sur les initiatives prises récemment par la commission européenne, via notamment le projet de Fonds européen de la défense. Aussi, les sages de la rue Cambon plaident pour la mise en place d’une équipe « dédiée » au sein de la Direction générale de l’armement (DGA) et l’envoi à Bruxelles « d’experts nationaux détachés. »
En outre, la Cour des comptes avance trois recommandations.
1. La première consiste à privilégier les partenariats limités « à deux, voire trois États partageant la même volonté de s’investir durablement et prêts à s’engager sur une maîtrise d’ouvrage et une maîtrise d’œuvre uniques. »
2. Estimant que, 13 ans après sa création, le bilan de l’Agence européenne de défense (AED) est « décevant », avec « la particularité de ne s’être vu confier aucun programme d’armement », le rapport préconise de promouvoir l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAr) « comme maître d’ouvrage délégué unique ».
3. Enfin, les magistrats recommandent de « ne pas lancer de nouveau programme d’armement sans s’être au préalable assuré du réalisme de la programmation budgétaire associée ». Une évidence qui mérite toujours d’être rappelée.
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