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Parlement européen: Macron ne marche plus seul


REUTERS/Vincent Kessler

Emmanuel Macron a lancé sa campagne en vue des élections européennes de mai 2019, mardi 16 avril, à Strasbourg, en répondant durant 3h30 aux questions des députés européens. Ce n’est pas un hasard si le Président de la République a choisi cette date pour honorer l’invitation que lui a adressé, au lendemain de son élection, Antonio Tajiani, le président du Parlement européen, comme il l’a reconnu: « ce moment » est « particulier », car « c’est celui qui nous sépare des élections européennes à venir, où nous aurons à faire vivre nos combats pour les idéaux qui nous ont faits ». Très combatif, il a donc proclamé qu’il n’avait renoncé à aucun de ses projets de réformes de l’Union énoncés lors de son discours de la Sorbonne de septembre dernier, même s’ils sont pour l’instant enlisés.

Macron choisit le débat

Surtout il a fait le déplacement de Strasbourg pour se positionner dans la réorganisation de l’échiquier politique européen qui s’annonce, En Marche n’ayant aucune existence au niveau européen, faute d’élus et faute d’appartenir à l’une des grandes familles politiques. Pour préparer son déplacement, il a reçu à Paris, la semaine dernière, les patrons des groupes politiques non eurosceptiques de l’europarlement... Sauf Guy Verhofstadt, le très fédéraliste patron du groupe libéral, victime collatéral des bombardements en Syrie: lui qui lui coure après depuis un an devra encore patienter…

« Je lui ai proposé deux formats pour son intervention », m’a expliqué Antonio Tajiani : « soit un discours sans question comme le font les chefs d’Etat et les rois, soit un débat avec les eurodéputés, un exercice auquel sont davantage habitués les chefs de gouvernement. C’est lui qui a choisi le second format qui est inédit pour un chef d’Etat français ». Et cela lui a réussi, Emmanuel Macron n’étant jamais aussi bon que dans l’échange musclé comme il l’a montré lors du débat de second tour face à Marine Le Pen ou lors de son entretien avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel. Il a d’ailleurs regretté de ne pas pouvoir le faire en France, Constitution oblige.

Enfoncer un coin dans le PPE

Dans son discours introductif, Emmanuel Macron a d’emblée voulu enfoncer un coin au sein du PPE (conservateurs européens), le principal groupe politique du Parlement, qui accueille sur ses bancs des partis qui sont plus proches de l’extrême droite que des valeurs de la démocratie-chrétienne des origines. Sans jamais citer le Fisdesz du Hongrois Viktor Orban ou les partis conservateurs alliés à l’extrême droite, à l’image des Autrichiens, il a mis en garde contre la réapparition d’une « forme de guerre civile européenne », « où nos différences, parfois nos égoïsmes nationaux paraissent plus importants que ce qui nous unit face au reste du monde », où « la fascination illibérale grandit chaque jour». « Je ne veux pas laisser s’installer cette illusion mortifère qui, ne l’oublions jamais, ici moins qu’ailleurs, a précipité notre continent vers le gouffre. L’illusion du pouvoir fort, du nationalisme, de l’abandon des libertés. Et je récuse cette idée qui gagne même l’Europe que la démocratie serait condamnée à l’impuissance. Face à l’autoritarisme qui partout nous entoure, la réponse n’est pas la démocratie autoritaire mais l’autorité de la démocratie ». Pour Macron, « la démocratie européenne, je le crois très profondément, est notre meilleure chance. La pire des erreurs serait d’abandonner notre modèle, j’ose dire notre identité ».

S’il a abandonné l’idée, fantasmagorique, de détacher la CDU du PPE, le principal vecteur d’influence allemande au sein de l’Union, il n’a manifestement pas renoncé à affaiblir ce regroupement des conservateurs européens soit en le poussant à faire le ménage dans ses rangs, soit en détachant les partis les plus mal à l’aise avec amitiés malsaines, à l’image d’une partie des Républicains progressistes (et non de l’UDI comme écrit par erreur) ou de la Nouvelle Démocratie grecque tentée de moderniser son image. Un tel éclatement du PPE, encore improbable il y a six mois, a pris davantage de consistance avec sa droitisation menée tambour battant par l’Allemand Manfred Weber, membre de la très conservatrice CSU bavaroise, secondé par le très réactionnaire Partido Popular espagnol. Sentant le danger, des caciques du PPE ont proposé à En Marche de les rejoindre, ce qui serait évidemment un suicide pour Macron et pas seulement à cause de sa dérive droitière: aujourd’hui, ce groupe est la principale force de blocage des réformes européennes…

Un groupe autour d’En Marche

Le second groupe, « socialiste et démocrates » (S&D), est d’ores et déjà en lambeau après les élections allemandes et italiennes. Le parti démocrate italien semblait prêt à rejoindre En Marche, peu soucieux de rester dans le même groupe que le PSOE espagnol qui soutient, pour cause de crise catalane, Jean-Claude Juncker, le président PPE de la Commission, et son âme damnée et secrétaire général, l’Allemand du PPE Martin Selmayr, accusés d’avoir fait le jeu des démagogues en Italie par leur politique migratoire. Mais, pressés par leurs partenaires sociaux-démocrates, ils hésitent à franchir le pas. Ce qui risque de leur coûter cher, le Mouvement Cinq étoiles (M5S), qui a gagné les élections générales et est déjà donné vainqueur des prochaines européennes, ayant fait des offres de services à Macron en faisant valoir qu’il était sur la même longueur d’ondes sur les questions européennes…

L’Allemand Udo Bullman, le patron du groupe socialiste et démocrate (S&D), en lançant à Macron, « avec qui allez-vous travailler » a paru totalement déphasé et en retard d’un train. Car En Marche devrait agréger autour de lui, outre M5S ou les Démocrates, Ciudadanos, le parti qui caracole en tête des sondages en Espagne, trois quart du groupe libéral de Guy Verhofstadt, peut-être les Verts allemands et une partie du PPE. En Marche n’exclut même plus de devenir le premier groupe du Parlement, un pari qui paraissait fou il y a quelques mois encore. Macron, encore une fois, est servi par la chance: affaiblissement des chrétiens-démocrates allemands, crise catalane, effondrement des Démocrates italiens et normalisation du M5S, autant d’évènements qui ont rebattu les cartes européennes.

Macron ne renonce à rien

Macron a profité de ces grandes manoeuvres pour envoyer un signal de fermeté à Angela Merkel, la chancelière allemande, dont le parti semble toujours aussi peu allant dès qu’il s’agit de réformer l’Union et surtout la zone euro. Le socialiste Udo Bullman a d’ailleurs reconnu que « de petits Schäuble (du nom de l’ancien ministre des Finances) ont commencé à se positionner au Bundestag pour empêcher toute réforme de l’Union ». Macron n’a donc laissé aucun doute sur sa détermination de tout changer: la zone euro, avec un budget propre, une union bancaire, un ministre des finances et un parlement dédié. Le budget à 27 dont les dépenses devraient être conditionnés à des critères de convergence fiscale et sociale.

Les institutions en rejetant tout élargissement aux Balkans, comme le veulent Berlin et la Commission,: « on ne va continuer à cavaler sans réformes institutionnelles ». « Ce n’est pas le peuple qui a abandonné l’idée européenne, c’est la trahison des clercs qui la menace », a taclé le chef de l’Etat. « Il faut entendre la colère des peuples d’Europe. Nous ne pouvons pas aujourd’hui faire comme hier, c’est-à-dire refuser de parler d’Europe, répartir les places et accuser Bruxelles ou Strasbourg de tous les maux ». Macron veut donc répéter son succès hexagonal en faisant table rase de « l’ancienne Europe »… On aurait tort de le sous-estimer.

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2018/04/22/parlement-europeen-macron-ne-marche-plus-seul/

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