En dépit de cultures stratégiques différentes entre la France et l’Allemagne, c’est bien par la coopération étroite entre Paris et Berlin que le projet d’Europe de la défense pourra être relancé.
À Berlin, l’élection d’Emmanuel Macron a été accueillie avec beaucoup de soulagement. L’Allemagne espérait que le prochain chef d’État français serait à la fois pro-européen et prêt à lancer des réformes économiques structurelles dans son pays. Le nouvel hôte de l’Élysée remplissait ces deux critères.
Ce qui ne figurait pas forcément sur la liste des critères de Berlin était la volonté du nouveau président de relancer l’Europe de la défense . La coopération de défense – à la fois bilatérale et dans le cadre de l’Union européenne (UE) – se retrouve aujourd’hui au cœur de l’agenda franco-allemand.
Le moteur franco-allemand
Depuis le référendum sur le Brexit, Paris et Berlin ont poussé pour des avancées dans le domaine de la défense. La plupart des mesures prises dans le contexte de la "stratégie globale" – et plus récemment le lancement de la Coopération structurée permanente (Pesco) – n’auraient sans doute pas été possibles sans leadership franco-allemand.
Paris et Berlin se montrent également ambitieux au niveau bilatéral, comme en témoigne la déclaration commune à l’issue du Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet 2017. La France et l’Allemagne y proposent entre autres la création de l’Alliance pour le Sahel, soulignent leur soutien pour la Pesco et annoncent leur coopération dans le domaine industriel, avec notamment le développement d’un "système de combat aérien européen".
Défense et intégration européenne
Toutefois, les objectifs français et allemands – indépendamment des partis politiques au pouvoir à Berlin – ne coïncident pas forcément. La situation peut être résumée en une formule quelque peu simpliste : pour les Français, l’Europe de la défense relève de la politique de défense, alors que pour les Allemands, elle relève de l’intégration européenne.
Voilà ce qui explique par exemple les désaccords franco-allemands concernant la Pesco . Alors que Paris souhaitait une coopération ambitieuse et à effectifs réduits afin d’assurer un maximum d’efficacité, Berlin a œuvré pour une Pesco "inclusive" avec un maximum de participants.
La Pesco finalement annoncée en décembre 2017 ressemble beaucoup plus aux préférences allemandes qu’aux idées françaises.
Ces dernières se retrouvent dans un projet hors UE, l’"initiative européenne d’intervention" proposée par Emmanuel Macron dans son discours à la Sorbonne en septembre 2017. Les contours de cette proposition étant flous , Berlin attend d’en connaître les détails avant de se prononcer sur son intérêt.
Les divergences persistent
Comme l’illustre l’exemple de la Pesco, les divergences franco-allemandes se situent toujours à deux niveaux.
Le premier concerne l’opportunité et les moyens d’une éventuelle intervention militaire. Côté allemand, le scepticisme face aux solutions militaires persiste. Ainsi, l’accord de coalition de 2018 laisse même supposer que Berlin insistera davantage sur la dimension civile durant les quatre prochaines années, annonçant notamment sa volonté de créer une "Pesco civile".
Le deuxième niveau concerne la question du cadre. Les Allemands – en dépit du discours sur l’Union européenne de la défense – n’ont en réalité que peu d’appétence pour une "vraie" Europe de la défense, qui pourrait avoir vocation à remplacer l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan).
Alors que Paris mise sur le pragmatisme et le "whatever works" (peu importe ce qui marche pourvu que ça marche) afin d’atteindre ses objectifs, quel que soit le cadre institutionnel, la préférence allemande pour l’Otan reste intacte. Elle pourrait même s’amplifier au vu du recentrage de la politique de défense allemande sur la défense territoriale à l’horizon 2032.
Des défis stratégiques
En d’autres termes, les différences en matière de culture stratégique entre la France et l’Allemagne persistent, voire tendent à s’accroître. À Berlin, on a mis du temps à comprendre que Macron, bien que pro-européen, n’est pas un président "post-moderne" à l’allemande, mais que son discours s’inscrit dans la continuité de la tradition gaullo-mittérandienne.
Et à Paris, il ne semble pas toujours évident d’apprécier l’évolution de la culture stratégique allemande : évolution ne signifie pas convergence automatique avec les visions françaises. À cela s’ajoute l’incompréhension mutuelle et traditionnelle concernant le fonctionnement des deux systèmes politiques.
Afin de relancer l’Europe de la défense, Français et Allemands ont donc de nombreux obstacles à surmonter. Pour ce faire, il est tout d’abord crucial d’engager un véritable dialogue stratégique sur le rôle et la place de l’Europe dans le monde de demain.
Aucun projet capacitaire et aucune coopération opérationnelle ne pourront remplacer des réponses communes aux questions fondamentales qui se posent non seulement à Paris et à Berlin, mais à l’ensemble de l’Union européenne.
Barbara Kunz est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri.
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