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L'Italie encore bien ancrée en Europe


Un chaos italien, sans aucun doute. Une crise européenne, pas encore, comme le montre l’émotion très mesurée des marchés financiers face aux derniers rebondissements romains. Ainsi, lundi matin, l’émission de dette du trésor italien s’est très bien passée, les investisseurs n’ayant demandé aucune prime de risque significative, souligne Laurence Boone, économiste en chef chez Axa. De même, l’effet de contagion aux pays les plus fragiles, l’Espagne au premier chef, le gouvernement de Mariano Jaroy étant en sursis, a été plus que modéré. On pouvait pourtant craindre le pire, puisque la crise politique s’est nouée sur la nomination du candidat de la Ligue (extrême droite), l’économiste Paolo Savona, favorable à la sortie de l’euro, au poste de ministre des Finances. Autrement dit, l’hypothèse d’un « Italxit » rampant a repris de la consistance ce qui aurait pu provoquer une panique dévastatrice : il suffit de songer aux considérables dégâts causés par la Grèce dont l’économie ne représente pourtant que 2 % du PIB de la zone euro alors que l’Italie en est la troisième économie…

Pourquoi un tel calme ? D’une part parce que l’Italie va mieux. Elle a enfin renoué avec la croissance et elle a fait le ménage dans ses comptes publics : elle est en excédent primaire de 1,7 % du PIB en 2017 et de 1,9 % en 2018 si bien que sa dette (132 % du PIB, une dette qui date pour l’essentiel d’avant l’euro) commencera à diminuer cette année.

D’autre part parce que la campagne électorale italienne n’a pas porté sur l’euro ou sur l’appartenance à l’Union. Si la Ligue reste un parti d’extrême-droite xénophobe et europhobe, qui siège sur les mêmes bancs que le Front national au Parlement européen, le Mouvement 5 Etoiles (M5S en italien) a remisé son référendum sur l’euro et sa rhétorique europhobe, privilégiant les thèmes anti-système et anti-immigration. « Depuis le référendum sur le Brexit, le M5S veut réformer l’Europe plus la quitter, à la différence de la Ligue », souligne Guy Verhostadt, patron des libéraux du Parlement européen, qui a tenté, en vain, de faire adhérer le mouvement fondé par Beppe Grillo à son groupe politique en estimant qu’il fallait l’ancrer du côté des europhiles.

Le sondage Eurobaromètre publié début mai montre d’ailleurs une progression du sentiment pro-européen dans la péninsule : une majorité d’Italiens pensent désormais que leur pays a bénéficié de son adhésion à l’Union (44 % contre 41%, soit une baisse de 7 points des opinions hostiles). De même, un sondage Eurobaromètre d’octobre dernier, montre que 45 % des sondés italiens (contre 40%) pensent que l’euro est une bonne chose pour leur pays et 62 % contre 25 % pour l’Union. Après plus de dix ans d’un désamour indexé sur une croissance nulle, l’opinion publique semble donc sortir d’une hostilité de principe à l’Union et à l’euro. A Bruxelles, on note enfin que le M5S s’est allié à la Ligue par défaut, le parti démocrate (gauche) ayant refusé pour des raisons tactiques de s’allier à un parti qui a largement siphonné son électorat dans le sud du pays… Bref, l’alliance entre le M5S et la Ligue ne serait que de circonstance et n’impliquerait nullement un virage anti-européen de l’Italie

Plus généralement, dans toute l’Union, les partis démagogues ont mis en sourdine les thèmes anti-européens au lendemain du Brexit : après les défaites des extrêmes-droites à la présidentielle autrichienne (décembre 2016), aux législatives néerlandaises (mars 2017), à la présidentielle française (mai 2017) et aux municipales italiennes (juin 2017), il est clairement apparu que les peuples ne voulaient pas suivre les Britanniques dans leur aventurisme.

D’où un recentrage sur le cœur du business démagogue, le rejet des étrangers et du système, ce qui a, depuis, permis aux néo-nazis du FPÖ de parvenir au pouvoir en Autriche, à Viktor Orban d’accroitre sa majorité en Hongrie, ou encore à la Ligue et surtout au M5S d’obtenir la majorité absolue des voix. « Il n’y a qu’en France que le rejet du système a abouti à l’élection d’un démocrate pro-européen, Emmanuel Macron », souligne Guy Verhofstadt.

Cependant, ce recul de la thématique europhobe n’est que temporaire : par nature, le nationalisme est antinomique à l’idée européenne. Autrement dit, les peuples ont accordé un sursis à l’Europe et non un blanc seing.

Le premier à en être conscient est le chef de l’Etat français qui appelle sans cesse à l’approfondissement de l’Union et surtout de la zone euro afin d’introduire de la solidarité entre les pays riches et moins riches. De ce point de vue, la crise italienne oblige les capitales européennes et surtout Berlin, qui rechigne à tout ce qui pourrait ressembler à une « union de transfert », à sortir de leur immobilisme.

C’est en quelque sorte un « wake up call»: ne rien faire, c’est l’assurance que, partout en Europe, des majorités europhobes parviendront à un moment ou à un autre au pouvoir, ce qui mènera à l’éclatement de l’Union. Berlin sait parfaitement ce qu’elle a à perdre dans un tel scénario catastrophe : « la classe politique allemande a une énorme responsabilité », prévient Guy Verhofstadt.

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2018/05/31/litalie-encore-bien-ancree-en-europe/

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