Tir réussi et coup de tonnerre
Historique
Fusée ou navette réutilisable ?
La croissance du marché et la domination des Russes et des Européens
L’américaine SpaceX entre en scène et reprend le marché
La réaction des Européens
Résumé de l'historique
Tir réussi et coup de tonnerre
Le 6 février 2018, la société SpaceX, emmenée par son charismatique et visionnaire fondateur Elon Musk, procédait au tir de sa toute dernière fusée, la "Falcon Heavy Rocket", depuis le pas de tir de la NASA au "Kennedy Space Centre ».
Le tir réussi a fait l’effet d’une explosion dans le petit monde des fabricants de fusées, mais aussi auprès du grand public sur la planète entière, et ce pour plusieurs raisons:
La puissance de l’engin qui surpasse toutes les fusées commerciales existantes aujourd’hui: 27 moteurs (contre 4 pour Ariane 5) qui libèrent 2500 tonnes de poussée (contre 1300 tonnes pour Ariane 5). C'est de loin la fusée commerciale la plus puissante au monde capable de mettre en orbite haute géostationnaire jusqu'à 26 tonnes (10 tonnes pour Ariane 5) ou 64 tonnes (!!) en orbite basse (18 pour Ariane 5).
A titre de comparaison, les performances de la fusée Ariane 5 actuelle sont comparables aux performances de l'autre fusée de SpaceX, la Falcon 9, opérationnelle depuis 2013: 8 tonnes en orbite haute et 22 tonnes en orbite basse.
La puissance de la Falcon Heavy surclasse sans conteste sa petite soeur Falcon 9 et l'européenne Ariane 5.
Après le tir, les trois étages principaux de la fusée sont revenus se poser sur la Terre. Le principe même de cette fusée est d'être réutilisable, ce qui va permettre de réduire drastiquement le coût de chaque lancement.
Ce système de récupération est déjà utilisé pour la fusée Falcon 9 ($ 60 millions le tir) qui est moitié moins chère que la fusée européenne Ariane 5 non récupérable ( $ 120 à 180 millions le tir).
La Falcon Heavy préfigure un autre modèle encore plus grand (100 m de haut) en développement chez SpaceX, la "Big Falcon Rocket" qui pourra emmener 250 tonnes (!!!) en orbite basse. Cette fusée ouvrira grandes les portes de l'exploration vers la Lune et vers Mars.
Historique
L’historique qui suit va mettre en parallèle les développements des fusées destinées au marché des lancements commerciaux, ainsi que celles destinées à l’exploration spatiale. Cette dernière, qui ne relève d’aucune rentabilité commerciale, est financée par les Agences gouvernementales. Ces deux mondes ne sont néanmoins pas complètement séparés. Les lanceurs de l’exploration spatiale ou les lanceurs militaires, financés par les Agences gouvernementales, peuvent devenir des lanceurs commerciaux. Et les lanceurs commerciaux peuvent se voir attribuer des lancements pour le compte de clients non commerciaux, c’est à dire les Agences gouvernementale qui font jouer une préférence nationale vis à vis de leurs industriels, en leur payant un bon prix, ce qui revient à les subventionner.
Fusée ou navette réutilisable ?
Dans les années 70, les Européens développent leur fusée Ariane, tandis que les américains choisissent la voie d’une navette réutilisable.
En 1973, la France lance le programme des fusées Ariane avec l’Allemagne, l’Italie, la Suède, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. Le lancement des satellites est commercialisé par la société Arianespace, filiale créée en 1980 par le CNES et les principaux industriels impliqués dans le programme. Le vol inaugural a lieu en 1979, et les modèles plus puissants vont se succéder pendant toute la décennie 1980. Ariane A2 (1984), A3(1986) A4 (1988).
En 1981, la navette spatiale américaine effectue son vol inaugural et débute sa carrière commerciale en 1982. Avec une flotte de 4 engins, elle devient le lanceur spatial principal des Etats-Unis qui lui confient le lancement de tous les satellites américains. Grâce à un dumping important sur les prix, la navette s’arroge une place dominante sur le marché des lancements commerciaux. Mais il apparaît rapidement que la navette ne sera jamais un moyen de lancement concurrentiel par rapport aux fusées, car la cadence des lancements espérée ne peut être tenue, chaque moteur devant être démonté et révisé après chaque vol, avant le suivant.
En 1986, la navette Challenger explose en plein vol, entrainant la mort de l'équipage. L'utilisation de la navette est alors limitée au lancement des satellites non commerciaux et aux expériences scientifiques en orbite.
La croissance du marché des satellites de telecom et la domination des Russes et des Européens
En 1987, les Européens lancent le programme de leur lanceur lourd Ariane 5, afin de pouvoir lancer des charges toujours plus lourdes. Le marché des satellites de télécommunication est en plein essor, avec un accroissement de la masse des satellites que la fusée Ariane 4 ne peut plus transporter.
En 1989, le mur de Berlin tombe, et l’URSS aussi. Ceci qui va permettre à la Russie de devenir capitaliste à son tour et de rentrer sur le marché concurrentiel des lancements commerciaux. Avant la chute de l'URSS, les Etats-Unis occupaient une position dominante sur ce marché. Mais les Russes, qui avaient avait investi massivement dans la technologie des fusées pendant la guerre froide, disposaient alors de très bons lanceurs au moment de la chute de l’URSS. Grace à leur fusée Soyuz, ils vont rafler les trois quarts du marché, les européens occupant le dernier quart. Les Etats-Unis vont disparaitre de la scène commerciale.
En 1993, l'espace n'est pas une priorité du président américain Clinton, qui revoit le budget de la Nasa à la baisse, jusqu'en 2001: le budget diminue de $ 23 à 18 milliards. Néanmoins la construction de la station spatiale internationale débute en 1996, avec les premiers segments assemblés en 1998.
À compter de la fin des années 1990, la desserte de la station spatiale russe Mir, puis de la station spatiale internationale, sera assurée par la navette américaine.
La construction de cette station sera l'illustration du renforcement des liens entre les Etats-Unis et la Russie après la longue période de la guerre froide. L'espace devient la manifestation politique d'une nouvelle ère de coopération et en 2000, la première équipe à bord sera américaine et russe.
En 1996 a lieu le vol inaugural de la fusée européenne lourde Ariane 5.
En 2001, le nouveau président Bush arrive au pouvoir.
En 2000, le propriétaire de la société américaine Amazon crée Blue Origin, dont le but est de développer les technologies permettant d’abaisser le coût d’accès à l’espace. La société va se concentrer sur les vols sub-orbitaux avec le développement de la capsule New Shepard. La société développe aussi le moteur BE qui fournira une poussée de 250 tonnes, ce qui en fera un des moteurs les plus puissants.
En 2002, l’entrepreneur américain Elon Musk, après avoir crée la société PayPal, puis la société Tesla qui produit et commercialise des voiture électriques, crée la société SpaceX pour fabriquer des fusées et vendre des lancements sur le marché des lancements commerciaux .
Le but déclaré de Space X est d'atteindre la planète Mars afin de la coloniser. Pour obtenir les financements nécessaires à ce projet pharaonique, SpaceX va dans un premier temps développer des lanceurs destinés au marché des lancements de satellites en orbite autour de la Terre et au ravitaillement de la station spatiale internationale. Afin de s'arroger une part dominante du marché, SpaceX va littéralement casser les prix en innovant sur deux points essentiels: un moteur de puissance moyenne mais très fiable, ainsi que des fusées qui redescendent sur Terre après chaque tir et qui sont réutilisables.
En 2003, la navette Columbia se désintègre lors de son entrée dans l’atmosphère. Comme en 1986 pour Challenger, tous les membres de l'équipage périssent. Ce deuxième accident va accélérer la décision de retirer la flotte des navettes.
En 2004, afin de relancer l'intérêt du grand public pour la conquête spatiale, Bush annonce une nouvelle initiative: retourner sur la Lune d'ici à 2020. Le projet de fusée "Constellation" est lancé en vue de fabriquer deux lanceurs lourds: la fusée Ares I qui devra emporter l’équipage, tandis que Ares V emportera du fret.
En 2009, Ariane 5 détient 50% du marché des satellites telecom en orbite géostationnaire, et tire 5 à 7 fois par an.
L’américaine SpaceX entre en scène et reprend le marché des lancements commerciaux
En 2010, SpaceX fait voler sa fusée Falcon9 avec 9 moteurs Merlin pour atteindre 450 tonnes de poussée au décollage. Contrairement à ce que tout le monde pensait, SpaceX ne s’est pas lancé dans le développement de moteurs de grande puissance comme l’ont fait la NASA et les européens qui y consacrent d’énormes investissements pour pouvoir franchir des sauts technologiques importants.
Space X a développé un moteur de puissance moyenne à la technologie bien maitrisée mais qui lui assure une grande fiabilité. Mais l’idée géniale était de monter ce moteur en grand nombre sur les fusées.
Le moteur Merlin de SpaceX développe moins de 100 tonnes de poussée, contre 540 tonnes pour chacun des deux boosters à poudre qui font décoller l’Ariane 5, ce qui donne plus de 1000 tonnes de poussée au décollage. Chacun des 3 moteurs RS-25 de la navette américaine développaient individuellement 230 tonnes de poussée, donc 700 tonnes en total au décollage par navette.
Contrairement à tous les autres lanceurs commerciaux, les fusées de la gamme Falcon sont réutilisables. Les fusées reviennent se poser sur Terre après chaque lancement, pour servir au prochain tir, ce qui permet de réduire drastiquement les coûts. Avec de tels avantages, les Etats-Unis reprennent rapidement le leadership des lancements commerciaux au détriment des Russes et des Européens.
En 2010, le nouveau président Obama change l'objectif et redirige l'exploration spatiale vers Mars.
En 2011, les Etats-Unis mettent fin aux vols des navettes qui, bien que réutilisables, coutent trop cher. A partir de ce moment, les Etats-Unis dépendent de la Russie pour envoyer les équipages vers la station spatiale internationale. Les relations entre les deux pays étaient encore bonnes à l’époque et la La NASA pensait combler ses lacune capacitaires en 4 années.
Cependant le projet Constellation prend du retard et le besoin de financement supplémentaire provoque l’abandon du projet.
Avec la fin de la navette et du programme Constellation, la NASA n'a plus aucun lanceur pour atteindre la station spatiale internationale. Tout est laissé aux mains de la Russie qui s'en charge avec ses fusées Soyuz.
Les Etats-Unis lancent alors un nouveau programme de module habité destiné à desservir de façon autonome la station spatiale internationale. Deux projets sont sur les rangs: Le Starliner de Boeing et le Dragon 2 de SpaceX. Le développement de ces programmes est toujours en cours. Ils seront peut-être opérationnels en 2019.
Un autre programme est aussi lancé pour développer le lanceur lourd capable d'emmener des modules habités au delà de la station spatiale. Un consortium de 3 sociétés s'attaque au projet SLS (Space Launch System) pour développer la fusée la plus puissante au monde (plus puissante que la récente Heavy Falcon de SpaceX). Les 3 sociétés sont Orbital ATK pour les boosters, Boeing pour le corps principal et Lockheed Martin et l'européen Airbus pour le module habité Orion. Les moteurs principaux seront ceux des navettes, les moteurs RS-25, à raison de 4 moteurs par fusée pour obtenir 900 tonnes de poussée au décollage. La fusée n'est pas encore prête à ce jour. Elle devrait effectuer son premier tir non habité décembre 2019. Son coût par tir devrait être de $ 500 millions.
En 2015, le contrat de ravitaillement de la station spatiale par SpaceX avec la fusée Falcon 9 est prolongé jusqu'en 2024.
En 2015, la société Blue Origin fait voler sa capsule New Shepard et fait revenir sa fusée sur Terre.
En 2016, Blue Origin fait revoler sa fusée une seconde fois, et le fait atterrir à nouveau. C’est la première fois qu’une fusée est effectivement réutilisée. Puis Blue Origin fait voler sa fusée une troisième, puis une quatrième, puis une cinquième fois cette même année. Les vols sont sub-orbitaux, c’est à dire qu’ils atteignent une altitude d’une centaine de kilomètres.
En 2017, le président Trump change (à nouveau!) l'objectif de l'exploration spatiale qui se détourne de Mars pour revenir à la Lune, vers laquelle on voudrait lancer des vols habités dès 2020. Afin de dégager les ressources nécessaires, le budget de la NASA publié en février 2018, supprime tous les budgets de communication pour les universités et l'éducation, annule le télescope scientifique WFIRST, et surtout, programme la fermeture de la station spatiale internationale pour 2025. Elle devrait être remplacé par une nouvelle station en orbite autour de la Lune.
Il faut admettre que les changements de caps successifs imposés par les administrations présidentielles américaines successives, ont rendu la tache de la NASA difficile, pour ne pas dire impossible. Les changements de plans successifs sont couteux et provoquent des retards pour des projets qui ne peuvent jamais aboutir.
En 2017, Blue Origin lance la New Shepard 2, pour un vol sub orbital. Cette même fusée va voler à nouveau en 2018 une seconde, puis une troisième fois.
En 2017, le classement des 90 lancements de fusées s’établit comme suit:
USA 29, dont 18 par SpaceX (Etats-Unis), Russie 20, Chine 18, Europe 11, Autres 12
En 2018, SpaceX aura déjà fait atterrir 28 fois sa fusée Falcon 9 après un vol, et procédé à treize réutilisations du premier étage. A partir de 2018, la cadence des lancements de SpaceX devrait atteindre 30 à 40 tirs par an.
En 2018, afin d’atteindre les 2500 (!!) tonnes de poussée, la Falcon Heavy de SpaceX incorpore 27 moteurs(!!). Si un moteur tombe en panne, il sera facile aux autres de combler la baisse de puissance. La Falcon Heavy n’est pas encore opérationnelle.
Les américains ont clairement repris l’avantage sur le marché des lancements commerciaux, au détriment des Russes et des Européens.
La réaction des Européens
Il souffle un vent de panique chez les européens qui ont déjà perdu leur position dominante sur le marché des lanceurs commerciaux.
Il faut d’abord limiter au plus vite les dégâts commerciaux en développant pour 2020 un nouveau lanceur plus économique, Ariane 6, qui devrait diminuer les prix de lancement de 40% par rapport à l’Ariane 5 actuelle.
L’Europe (tout comme les Etats-Unis chez eux d’ailleurs) va pouvoir compter sur la préférence que lui accorde ses organisations gouvernementales et européennes, ce qui pourrait lui garantir une dizaine de lancements par an sur la période 2020-2023. Il ne faut pas oublier que ce sont les gouvernements qui veulent financer le développement de lanceurs pour s’assurer un accès indépendant à l’espace pour des raisons stratégiques et commerciales. Ils ont donc tout intérêt à soutenir leurs champions nationaux.
Le monde spatial est dominé par les lancements institutionnels (civils ou militaires), qui représentent l’essentiel des mises en orbite ( 70 % des 91 lancements en 2017). Or, ces lancements sont réservés, aux Etats-Unis, à des fusées nationales, et sont facturés le double de ceux proposés aux vols commerciaux, ce qui donne aux firmes spatiales comme SpaceX, une marge financière pour affronter la concurrence et se développer. Pour SpaceX, cela représente en valeur les deux tiers de son carnet de commandes, contre un tiers pour Arianespace. En Europe, la situation est différente, car non seulement les missions institutionnelles sont peu nombreuses (deux sur les onze lancements de 2017), mais, de plus, la fusée européenne est mise en compétition avec les autres lanceurs.
Ensuite, il faut mettre l’Europe sur la voie du moteur à cout moyen et du lanceur réutilisable.
Le projet de moteur réutilisable (au moins 5 fois) Prometheus est lancé par les français pour 2020. Il vise un coût de fabrication de 1 million d'euros, soit dix fois moins cher que le moteur Vulcain de l’Ariane 5 actuelle, et devrait utiliser une nouvelle propulsion oxygène liquide et méthane (contre oxygène et hydrogène pour le Vulcain cryogénique actuel).
Le projet du lanceur réutilisable Callisto est lancé pour 2020. Il associe en coopération les français (CNES), avec les allemands (DLR) et les japonais (JAXA). Callisto sera suivi par le lanceur Themis pour 2025, qui sera 10 fois plus lourd que Callisto, en utilisant plusieurs moteurs Prometheus. Enfin à l’horizon 2030 devrait voir le jour Ariane Next, qui remplacera Ariane 6.
Résumé de l'historique
Sources:
Agence Spatiale Européenne
www.esa.int,
www.esa.int/Our_Activities/Space_Science
http://sci.esa.int/home/
CNES
cnes.fr
NASA
www.nasa.gov
Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology
www.jpl.nasa.gov
Wikipedia
Le nouvel âge spatial, Xavier Pasco, 2017, CNRS Editions
Une ambition spatiale pour l'Europe, Emmanuel Sartorius, 2011, La documentation française