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Le "New space », un nouvel âge spatial ?


Le New Space ne date pas d’hier

Un projet politique stratégique

Les autoroutes de l’information

Une tradition américaine du mécénat

Le New Space 2.0

Que la force gouvernementale soit avec toi

Que la préférence nationale soit avec toi

Le New Space est encore et toujours américain

La fin des années 2000 semblent avoir brutalement ouvert un nouvel âge spatial. L’irruption d’entrepreneurs aussi audacieux que visionnaires qui, en moins d’une décennie, ont totalement boulversé la donne des activités spatiales, domaine stratégique jusque là réservé aux agences gouvernementales, semble ouvrir une nouvelle ère en rupture avec le passé.

Les noms de ces entrepreneurs qui ont investis le spatial au point de le révolutionner, sont mondialement connus: Richard Brandson (Virgin), Paul Allen (Microsoft), Jeff Bezos (Amazon, Blue origin), Elon Musk (PayPal, Tesla, SpaceX).

Le New Space ne date pas d’hier

En réalité, tout comme le développement du secteur spatial au sortir de la guerre fut l’expression de la guerre froide et de la confrontation des blocs, le « New Space » d’aujourd’hui est lui aussi l’expression d’un nouvel ordre mondial, celui qui succéda à la guerre froide dans les années 90, après la chute du mur de Berlin. Ce nouvel age spatial, qui éclate aujourd’hui au grand jour, est le fruit d’efforts consentis depuis plus de 20 ans, et prend sa source dans les années 1990.

La chute du mur de Berlin fut une rupture géo-stratégique majeure annonciatrice de changements radicaux et durables. L’espace, s’il restait le lieu et le moyen de la confrontation entre les puissances, engloba alors d'autres dynamiques, celles qui combinent les investissements publics et les entreprises du privé.

Il reviendra à l’administration démocrate américaine de l‘époque, et en particulier au président Bill Clinton, de réaliser la sortie progressive de l’état de guerre (froide) et de pouvoir ainsi justifier la conversion des programmes américains auprès d'une opinion publique de moins en moins mobilisée pour l’aventure spatiale.

Le même changement de paradigme s’imposait aussi à la Russie, qui héritait à la même époque de l’immense difficulté de reconvertir son complexe militaro-industriel en une organisation plus performante dans une économie qui devait se moderniser, tout en étant en mesure de poursuivre ses missions d’État.

Les États-Unis disposait d’un formidable potentiel industriel et technologique construit tout au long des décennies de la guerre froide. Ils adoptèrent une vision élargie de leur statut de puissance, afin de capitaliser sur un investissement qu'il aurait été catastrophique de perdre, afin de le convertir en un véritable atout de puissance.

Un projet politique stratégique

La clef de voute de cette vision élargie fut le rapprochement des technologies spatiales et de celles de l’information, qui allait prendre la forme d’un véritable projet politique. Le principe était simple: la généralisation des l’emploi des moyens spatiaux conférait un avantage au pays technologiquement le plus avancé, financièrement le plus puissant et politiquement le plus influent.

En 1994, l'exécutif américain autorisa l'exploitation commerciale des images satellitaires de haute résolution, opérant de fait le premier transfert des techniques d'observation de la Terre au secteur privé. La plus grosse part du marché commercial est toujours dans les main de la société américaine « Digital globe », qui compte le Pentagone comme son principal client.

De façon encore plus spectaculaire, l’administration de Bill Clinton procéda à la libéralisation de l'emploi du système de navigation par satellite américain GPS, en dépit des objections des militaires à l’époque. Les Etats-Unis ne pouvaient se priver d'un tel vecteur de puissance à un moment où ils étaient dans un position unique d’hégémonie technologique, politique et économique. La diffusion de la haute précision issue de ce système vers le monde commercial et le grand public devait étouffer tout programme concurrent afin de garder le contrôle sur une technologie jugée stratégique, tout en conservant le monopole des retombées économiques et industrielles.

En 1996 le système américain GPS était pleinement opérationnel et il s’ouvrait aux applications civiles à partir de 2000.

Dans le domaine des lanceurs, les Etats-Unis, qui ne possédaient pas de fusées commerciales, autorisèrent des « joint ventures » américaines à passer des accords commerciaux avec des entreprises de lancement russe et ukrainienne, afin de concurrencer les autres entreprises, comme l’européenne Arianespace, qui de son coté, établissait un partenariat avec la société russe Soyuz.

Les autoroutes de l’information

A la fin des années 90, ce véritable projet politique pris le nom de « Global information infrastructure » et opèra la jonction entre la révolution dans les affaires militaires et les fameuses autoroutes de l’information dans la société civile.

Comme l’argent, la technologie n’avait plus d’odeur, elle pouvait aussi bien servir des fins militaires que commerciales. Grace à ces technologies dites « duales », les systèmes spatiaux furent utilisés pour mettre en place une véritable architecture de l’information à l’échelle mondiale, à vocation aussi bien militaire que civile. Ce fut en quelques sortes, la reconversion du fameux programme militaire de la « Guerre des étoiles » en un programme civil des « Autoroutes de l’information » qui visait à pérenniser le développement civil, commercial, politique et stratégique des Etats-Unis.

Le GPS américain en fut l’illustration emblématique. Mis en place par le Département de la Défense US à des fins militaires à partir de 1973, il s’ouvrit aux applications civiles dans le monde entier à la fin des années 90. Malgré la mise en place progressive des systèmes concurrents russe (GLONASS) et Chinois (Beidou), le système américain contrôle et domine le monde encore aujourd’hui.

Le développement de ces autoroutes de l’information, dans lesquelles les technologies spatiales américaines jouaient un rôle central, vont permettre aux États-Unis de faire valoir un rôle normatif dans l'organisation des télécommunications et la diffusion de l'information à l'échelle mondiale. Cela ouvrira la voie des standards édictés par les grands acteurs américains de l’Internet. Cette modernisation des grands réseaux mondiaux, qui place les systèmes spatiaux en son coeur, va également permettre l’extension de l’espionage et du renseignement américain à vocation économique et militaire. Grace à ces nouvelles relations entre les acteurs publics et privés, les Etats-Unis élargissent considérablement le périmètre de leur sécurité nationale. En 2001, les attentats à New York ne feront qu’accélérer ces pratiques.

Ce vaste programme connut pourtant des déboires dans la sphère économique privée, lorsque les technologies de transmission et de telecommunication terrestres devinrent plus performantes et rentables que les réseaux satellitaires. La naissance de l’Internet à l’échelle mondiale avait ouvert le marché prometteur du commerce électronique, et de nouvelles sociétés (Amazon, eBay, AOL) purent lever d’importants capitaux en bourse. La spéculation s’en mêla et entraina la création d’une bulle spéculative sans équivalent dans l’histoire. Cette « bulle de l’internet » éclata en krach boursier dans les années 2000.

Une tradition américaine du mécénat

Quoiqu’il en soit, l’ensemble des mesures dans le domaine de l'observation de la Terre, du système de positionnement GPS et des lanceurs, allaient faire avancer les intérêts politiques américains à long terme, mais aussi leurs intérêts industriels à plus court terme. Le transfert de la charge de financement de l’acteur publique vers les entreprises privées ne date pas d’hier, mais bel et bien des années 1990.

Ce mécénat privé dans un domaine réservé à la puissance publique n’est pas nouveau dans l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. Les entrepreneurs ont souvent joué un rôle crucial dans le développement et dans les progrès des systèmes d'exploration de l'espace de ce pays. Au XIX siècle déjà, des philanthropes n’hésitèrent pas à investir des fortunes dans les premières grandes installations scientifiques que l'État fédéral ne pouvait s’offrir, et ce à une échelle comparables aux engagements financiers de la génération actuelle.

Le New Space 2.0

L’émergence du « New space » est donc l'achèvement d'un processus qui était en cours depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, on assiste à un nouveau départ, le New Space 2, sous l’impulsion des grandes sociétés de l’Internet qui investissent dans le spatial pour mieux assurer assurer leur croissance et leur capacité à toucher les nouvelles populations jusqu'ici dépourvu de l’Internet.

L'activité spatiale demande aujourd’hui des investissements initiaux réduits en comparaison des programmes spatiaux classiques. Les avancées des technologies spatiales viennent d’ouvrir la voie aux satellites miniatures et aux lancements à bas coût, permettant des fréquences de tir élevées.

La production en masse d’images de moyenne et haute résolution devient possible pour des investisseurs privés, et va pouvoir se conjuguer avec l'utilisation de processus analytique de type « big data » pour des activités de surveillance variées.

« Skybox Imaging » est une société qui ambitionne de constituer un ensemble de 24 petits satellites d’observation de la Terre d’un coût réduit mais dotés de très hautes performances. La société fut rachetée par « Google » puis par « Planet ». Le projet « Planet Labs », devenu « Planet » depuis, veut produire des images de la Terre en survolant quotidiennement des endroits ciblés.

« Google » a investi 1 milliard de dollars auprès de SpaceX en 2014 pour étudier la mise en place d'une constellation de plusieurs milliers de satellites.

« Black Sky Global » veut utiliser une constellation de 60 micro satellites pour fournir des images d’une précision métrique et des vidéos. Il s’agit de produire et de distribuer en masse, avec un paiement à la demande, suivi d’une livraison dans les 90 minutes. Le prix de vente sera de l’ordre du dixième de ce qui est offert actuellement.

D’autres sociétés comme UrtheCast, HERA ou SPIRE veulent aussi développer des constellations de satellites d’observation lourds et de fortes capacités.

Ces jeunes sociétés, qui misent sur les images en volume, les bas couts et la flexibilité, viennent compléter l’offre des anciennes société comme l’américaine Digital Globe ou l’européenne Airbus Geoinformation System, qui proposent toujours la très haute résolution.

Le projet « One Web » de Greg Wyler consiste à mettre 700 (!) satellites de télécommunications en orbite pour opérer la fusion de l'Internet et de la téléphonie. Il s’agit d’atteindre les 3 milliards de personnes qui n’ont pas accès à l’internet et qui sont coupées des réseaux d’information mondiaux aujourd’hui afin de réduire la fracture numérique.

Le secteur privé est donc en mesure de compenser la diminution des fonds publiques, tout en privilégiant les activités rentables plutôt que les investissements à long terme risqués. Le résultat est une évolution vers le « Big data », le traitement et la vente de donnée en gros.

Par rapport aux projets similaires d’il y a 20 ans qui furent victimes du krach boursier, la différence réside aujourd’hui dans le financement qui provient moins d’une levée de capitaux boursiers que d’investissements des sociétés privées de l’internet comme Google.

Que la force gouvernementale soit avec toi

Mais là encore, de la même façon que les sociétés il y a 20 ans bénéficiaient du programme de reconversion des technologies militaires spatiales issues de la recherche et développement de l’état fédéral, les nouvelles sociétés sont aujourd’hui issues d’une coopération poussée et stimulée entre le public et le privé, dans un environnement typiquement américain.

La société Planet a été créée par des scientifiques issus du centre de recherche fédéral « Ames » de la NASA. Beaucoup de start-up ont pu acheter des bâtiments auprès de la NASA, qui a crée un « Emerging Space Office » chargé de suivre et stimuler les initiatives du New Space. La Silicon Valley et Palo Alto demeurent le creuset unique d’un mélange de moyens publics et de moyens privés au service de l’innovation. Tous les grands acteurs de l’internet s’y retrouvent avec les acteurs fédéraux les plus en pointe, comme la « Singularity University », crée dans le « Nasa research park ». Des membres ayant travaillé au « National Reconnaissance Office » (NOR), l’agence de renseignement des Etats-Unis qui construit et exploite les satellites espions du gouvernement, travaillent désormais dans des sociétés comme Planet. Le National Geographic Intelligence Agency (NGA), qui appartient au ministère américain de la défense, a lancé un grand programme de soutien à ces nouvelles activités, la « NextGen Tasking Initiative ». Cette même NGA s’est aussi installée dans la Silicon Valley à travers la création d’un « NGA Outpost Valley » accompagné par ses partenaires fédéraux naturels, la NSA et le NRO, afin de pouvoir travailler en étroite relation avec ces nouveaux acteurs de l’observation de la terre.

Que la préférence nationale soit avec toi

Dans le domaine des lanceurs, la nouvelle société SpaceX fait voler depuis 2010 ses fusées Falcon9 réutilisables. SpaceX, ainsi que la société Blue Origin, pourront bientôt transporter des astronautes pour le compte de la NASA, qui a déjà externalisé la desserte de la station spatiale internationale ISS à la société SpaceX.

Les succès de la société SpaceX se font au dépend des fournisseurs traditionnels Boeing et Lockheed, qui avaient formé en 2006 la United Launch Alliance (ULA) et qui détenait à elle seule le monopole des lancements gouvernementaux jusqu’en 2015, date à laquelle SpaceX a gagné son procès et le droit de répondre aux appels d’offre du gouvernement américain. SpaceX a ensuite gagné son premier lancement militaire au dépend de ULA qui n’avait pas perdu un seul lancement militaire depuis 1995. D’autres arrivants comme Blue Origin ou Orbital vont certainement continuer de rebattre les cartes.

Toutefois, la clientèle privée n’existe suffisamment pas pour permettre l’essor d’une activité spatiale dans le domaine des lancements sans argent public. Les lancements gouvernementaux, en grande partie militaires, seront donc pour longtemps l’unique source de financement du secteur.

Aux Etats-Unis, les nouveaux acteurs privés peuvent compter sur cette manne financière grâce à la préférence nationale. Il ne faut pas oublier que ce sont les gouvernements qui veulent financer le développement de lanceurs pour s’assurer un accès indépendant à l’espace pour des raisons stratégiques et commerciales. Ils ont donc tout intérêt à soutenir leurs champions nationaux.

Or, ces lancements gouvernementaux sont exclusivement réservés, aux Etats-Unis, à des fusées nationales, et sont payés deux fois plus cher que les prix offerts aux clients privés, ce qui donne aux sociétés comme SpaceX, une marge financière pour affronter la concurrence et se développer. Dans le cas de SpaceX, les lancements gouvernementaux représentent les deux tiers de son carnet de commandes, contre un tiers pour celui de l’européenne Arianespace. En Europe, la situation est différente, car non seulement les missions institutionnelles sont peu nombreuses (deux sur les onze lancements de 2017), mais de plus, la fusée européenne est mise en compétition avec les autres lanceurs. Lorsque l’européenne Arianespace raffle plus de la moitié des lancements commerciaux, ce qui est une performance remarquable, elle n’a en fait accès qu’à 10% des lancements dans le monde. Entre 70 et 80% des lancements mondiaux sont financés par des agences gouvernementales, qui appliquent la stricte règle de la préférence nationale, sauf en Europe!

En Europe, l’irruption de nouveaux concurrents américains qui offrent à leurs clients une diminution drastique des coûts de production et d’opération, a provoqué la refonte de toute la filière. L’Europe, dont le lanceur Ariane 5 est menacé, a pris en 2014 la décision de le remplacer par un nouveau lanceur non récupérable mais à bas cout, Ariane 6, à partir des années 2020.

Une nouvelle entité industrielle « Airbus Safran Launchers » (ASL) e été crée en 2016, avec l’intention de lui confier plus de responsabilités et de rapprocher l’industrie du marché commercial. La société ASL est devenue le principal actionnaire d'Arianespace par acquisition des parts détenues jusqu'ici par l’Agence spatiale française (CNES). L’acteur étatique a donc transféré à des industriels européen le développement et l’exploitation de la future fusée, suivant ainsi la tendance du New Space 2.

Le New Space est encore et toujours américain

Quoiqu’il en soit, force est de constater que les New Space 2.0 n’existe pas véritablement en Europe, ou très timidement, et qu’il est un dynamisme caractéristique, depuis plus de 20 ans, de la coopération des agences fédérales américaines avec des acteurs privés particulièrement visionnaires et dynamiques de nos jours.

Sources:

Agence Spatiale Européenne

www.esa.int,

www.esa.int/Our_Activities/Space_Science

http://sci.esa.int/home/

CNES

cnes.fr

NASA

www.nasa.gov

Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology

www.jpl.nasa.gov

Wikipedia

Le nouvel âge spatial, Xavier Pasco, 2017, CNRS Editions

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