Pendant plus de 70 ans, de 1870 à 1945, la France et l'Allemagne connurent une période calamiteuse de conflits dévastateurs et dramatiques, s'affrontant à trois reprises en moins d'un siècle, en 1870, 1914 et 1939. A chaque fois, l'ampleur des conflits alla crescendo, jusqu'à atteindre les proportions mondiales que l'on sait.
Depuis 1945 jusqu'à aujourd'hui, c'est à dire plus de 70 ans également, les deux pays ont vécu une période de rapprochement et de paix jamais connue dans leur histoire. Les deux pays, qui se juraient "ennemis héréditaires", ont entamé une réconciliation et un rapprochement qui ne s'est jamais démenti depuis, allant même aujourd'hui jusqu'à l'évocation d'un projet d'Union franco-allemande, ou germano-française.
Le chemin parcouru depuis 1945 a été long mais constructif. Les deux pays sont partis de loin. Les traumatismes infligés par la guerre furent au début trop lourds pour permettre aux deux pays un rapprochement dénué de méfiance et de calculs d'équilibre de puissance, tels que l'Europe les pratiquait au siècle passé en 1900. Néanmoins, la France et l'Allemagne étaient d'accord sur le plan économique et allaient devenir le puissant moteur de la construction européenne non politique, limitée à son champs économique.
Le Traité de l'Elysée, 1963
Afin d'éviter une nouvelle guerre et afin de mettre fin au revanchisme qui alimentait les haines de générations en générations, un rapprochement historique furent entrepris par les deux pays dès 1950. En 1963, vingt ans après la capitulation de l'Allemagne nazie, le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signèrent le Traité de l'Élysée, qui officialisait de façon volontaire et spectaculaire, le rapprochement entre les deux anciens "ennemis héréditaires".
Ce Traité voulait le rapprochement des peuples des deux pays. Il était crucial pour les deux signataires que ce ne soit pas seulement un Traité entre États, mais que les citoyens se rapprochent les uns des autres. Les jeunesses allemande et française étaient particulièrement visées, l'accent étant mis sur l'apprentissage des langues ainsi que sur l'équivalence des diplômes.
Le lien personnel entre les deux chefs d'État joua un rôle décisif dans la concrétisation de l'amitié franco-allemande. Leurs bonnes relations fut à l'origine d'une coopération bilatérale qui continuera avec les présidents suivants, et qui aura des effets entrainant pour la construction européenne. Ce sera le fameux "moteur franco-allemand".
Le couple franco-allemand, moteur de l'Europe
Depuis lors, tous les présidents français et allemands formèrent ainsi, de façon plus ou moins spontanée, des "couples" politiques, qui devaient se parler et s'entendre. En plus de cinquante années, le couple France-Allemagne connut des hauts et des bas.
Le couple connut sa lune de miel jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, qui annonçait la fin de la guerre froide, la réunification Allemande et une toute nouvelle donne géopolitique. Qu'on le veuille ou non, la relation franco-allemande reposait sur l'équilibre des forces hérité à la fin de la seconde guerre mondiale.
A partir des années 1990, le couple Franco-Allemand trouva son second souffle dans la poursuite de la construction européenne, dont il était toujours l'élément moteur. Cette dynamique fut couronnée de succès avec l'introduction de l'euro dans les années 2000. Dans son élan, le mouvement se poursuivit avec l'élaboration de nouveaux Traités, qui aboutit en 2005 à celui d'une "Constitution Européenne", qui aurait du enfin ouvrir le volet politique de la construction européenne.
Cela ne veut pas dire que le couple entretenait des relations idylliques pour autant. A la différence d'un couple qui s'unit par un contrat de mariage, la France et l'Allemagne n'ont pas mis en place de constitution et d'organes politiques supra-nationaux qui veilleraient à leur Union. De culture fédéraliste, la vision allemande de la communauté envisage un partage du pouvoir entre les États membres et un transfert des compétences nationales à la Communauté. De culture gaulliste, la France souhaite traditionnellement faire de l'Europe un levier de sa politique internationale, économique et monétaire. C'est ainsi que la future monnaie unique était envisagée, côté français, comme un instrument géopolitique permettant à l'Europe de former un contrepoids face aux États-Unis et à l'Asie, alors qu'elle apparaissait côté allemand davantage comme un moyen économique visant à garantir la stabilité en Europe. Ces différences sont toujours d'actualité aujourd'hui...
À l'occasion des célébrations des quarante ans de la signature du Traité de l'Elysée, en janvier 2003, de nouvelles formes de coordination bilatérale entre la France et l'Allemagne furent créées. Par exemple le Conseil des ministres franco-allemands se réunissant à un rythme bi-annuel, remplaçant les sommets franco-allemands qui avaient été institués par le Traité. Un programme commun de formation des cadres de la fonction publique fut mis en place (master européen de gouvernance et d'administration). La journée franco-allemande fut instaurée tous les ans le 22 janvier.
La déflagration du NON au référendum sur la Constitution Européenne (2005)
Mais le 29 mai 2005, 55% des français votèrent non au référendum sur le projet de la Constitution. Ce fut un coup d'arrêt brutal porté à la dynamique de la construction européenne, et au couple franco-allemand, qui se retrouva comme tétanisé et impuissant, et perdit dès lors de sa légitimité auprès des autres partenaires européens. Sans projet d'avenir, le couple sombra au mieux, dans la léthargie, au pire dans les bisbilles et disputes de famille.
L’intention des pères fondateurs de l’Europe était que le marché commun, puis la devise commune, devaient nécessairement aboutir à la formation d’une union économique et budgétaire, et enfin d’une Europe politique. Ce n'était pas l'Europe que les citoyens ont rejetés dans les référendums sur la convention européenne dans les années 2000, mais sa mécanique, autonome et déshumanisé, de progression inéluctable qui avançait sans eux, comme un robot échappant au contrôle de ses créateurs. Les citoyens n'ont pas voulu d'une Europe politique mécanique. Ils désirent une Europe à visage humain, économique, budgétaire et sociale qui reste encore à faire.
La crise économique mondiale (2008) et le décrochage
En 2008, une crise économique majeure éclata à l'échelle mondiale, dont les effets dévastateurs se font encore aujourd'hui, 10 ans plus tard, durement ressentir. Elle eut deux conséquences divergentes sur le couple franco-allemand.
D'une part, elle imposa aux deux partenaires la relance d'une concertation approfondie et de rencontres qui se multiplièrent comme jamais auparavant, au point que le couple était qualifié d’ «inséparable» à l'époque. Mais d'autre part, elle accentua les divergences entre les politiques économiques des deux pays. Dans les années 2000, l'Allemagne avait pris des mesures afin de redonner plus de productivité à son économie, en misant sur une politique de production (de l'offre). La France conservait quant à elle sa politique d'investissement publics et d'encouragement à la consommation (politique de la demande).
10 ans après la crise, on assiste a un véritable décrochage économique de la France par rapport à l'Allemagne, qui n'a jamais été aussi important depuis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les dépenses publiques absorbent 56 % du PIB en France, contre 44 % en Allemagne, la pression fiscale s’est constamment accrue en France alors qu’elle a diminué en Allemagne depuis les années 2000, la France a constamment dépassé depuis 2008 le seuil supposé fatidique des 3 % de déficit (sauf en 2017) alors que l'Allemagne est constamment en dessous depuis 2010, la dette publique française dépassera sans doute le seuil des 100 % en 2019, alors que l’Allemagne se rapproche de la limite autorisée de 60 %, le chômage atteint en France plus de 9 %, presque le double de celui de l’Allemagne, à 5 %, tandis que les écarts de compétitivité se reflètent aussi dans les balances commerciales des deux pays, structurellement déficitaires en France, -62,3 milliards d’euros en 2017, quand l’Allemagne affiche un excédent commercial de +244,9 milliards la même année.
Force est de constater que les bonnes intentions seules, sans volonté politique forte, ne sauveront pas un couple souffrant de telles disparités. Il est donc particulièrement important de mettre en place des organes politiques et des institutions communes qui puissent veiller et solidifier une union devenue nécessaire et vitale.
Le Traité d’Aix-la-Chapelle, 2019
56 ans après la signature du premier Traité fondateur de l'Elysée en 1963, la France et l’Allemagne entendent donner un nouvel élan à leur coopération en signant, le 22 janvier 2019, le Traité d’Aix-la-Chapelle, qui se veut être un "nouveau Traité de coopération et d'intégration franco-allemand". Il n'affiche donc pas l'ambition d'être fondateur, mais de compléter et d'approfondir le Traité de l'Elysée de 1963.
Tout traité ne peut-être jugé qu'en le replaçant dans son contexte historique. En 1963, 18 ans après la capitulation de la dictature nazie, la signature du Traité de l'Elysée entre les 2 ennemis héréditaires fut véritablement fondateur, et demeure encore aujourd'hui un acte de réconciliation historique aux yeux du monde entier.
Aujourd'hui, dans un contexte de paix retrouvée et de relative prospérité, mais à un moment ou la France décroche économiquement vis à vis de l'Allemagne , où l'Angleterre a des velléités de sortir de l'Union Européenne mais n'arrive pas à se sortir elle même d'un Brexit inextricable, où l'Europe est attaquée à l'est comme à l'ouest par un populisme agressif, où la mondialisation affaiblit les industries européennes tout en permettant de contourner les règles fiscales, où les deux grandes puissances sont maintenant les Etats-Unis et la Chine, dont l'Europe n'est plus, ce traité fait face à un environnement pour le moins hostile.
Sa première intention est de définir les principes et les buts communs pour renforcer l'Union Européenne. Il veut construire une politique commune étrangère et de sécurité efficace, approfondir l'union économique et monétaire, mieux coopérer pour rendre l'Europe capable d'agir et faciliter les prises de position communes au sein de l'ONU. Malgré les difficultés que rencontre l'Union Européenne, la France et l'Allemagne s'engagent donc à poursuivre la voie de la coopération et de l'intégration.
Au niveau intergouvernemental, il veut soutenir les initiatives de la société civile franco-allemande, faire coopérer les systèmes d'éducation, favoriser l'apprentissage du français et de l'allemand, développer une coopération trans-frontalière aussi fluide que possible, c'est à dire sans frontière, coopérer dans les domaines de la protection de l'environnement, de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et des innovations technologiques.
Enfin, le troisième volet du traité, qui est absolument capital afin qu'il ne reste pas lettre morte mais que, au contraire, il soit efficace et devienne un point d'articulation cardinal pour tout gouvernement français et allemand, actuel et futur, traite des institutions et organes politiques et administratifs qui sont mis en place, ou existants mais à qui se voient confier des responsabilités supplémentaires de moyens et de résultats.
L'application du traité sera assuré par le Conseil des ministres franco-allemand, qui existe déjà, mais qui aura désormais la responsabilité d'établir et de suivre un plan pluri-annuel des projets communs. Les gouvernements français et allemand devront ainsi rendre des comptes à une assemblée parlementaire nouvellement créée, constitué de 50 parlementaires français et 50 parlementaires allemands, présidée par les deux présidents des assemblées nationales, et qui siègera au moins deux fois par an. D'autre part, un ministre d'un gouvernement participera régulièrement à un conseil des ministres de l'autre gouvernement. Et les diverse commissions parlementaires des deux pays sont encouragées à travailler en coopération entre elles.
Le conseil économique et financier, qui existe déjà, se voit confier l'ambitieuse tache de préparer l'harmonisation des droits économiques afin de pouvoir créer, à terme, un espace économique franco-allemand.
Un comité de coopération transfrontalière va être crée, ainsi qu'un "forum pour l'avenir franco-allemand" pour susciter et accompagner les projets dans le domaine des nouvelles technologies, enfin un "fonds citoyen commun" soutiendra financièrement les projets de la société civile franco-allemande.
Si il est sérieusement appliqué et suivi, ce traité pourrait s'avérer plus fondateur qu'il n'en a l'air.