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Budget italien: un choc de légitimités


FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Peut-il y avoir un choix démocratique national contre les traités et les lois européens? En janvier 2015, juste après l’élection d’Alexis Tsipras en Grèce, Jean-Claude Juncker, le président conservateur de la Commission, a clairement répondu par la négative : « Dire qu’un monde nouveau a vu le jour après le scrutin n’est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l’Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n’altéreront pas fondamentalement ce qui est en place », car « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens».

La démonstration fut apportée en six mois : Syriza, le parti alors de gauche radicale de Tsipras, dut capituler en rase campagne et accepter un programme d’austérité contre lequel il s’était battu.

Aujourd’hui, la même question se pose pour l’Italieet la réponse de Juncker s’est faite encore plus dure : non seulement il faut respecter « les règles préétablies », mais « les nouveaux gouvernements doivent respecter la parole de ceux qui les ont précédés ». En l’occurrence, comme la majorité précédente s’est engagée sur une trajectoire budgétaire, il n’est plus possible de s’en écarter sous peine de sanctions. Une façon élégante de signifier que les élections, au sein de la zone euro, n’ont plus vraiment d’importance.

Certes, ce sont les États qui ont adopté ces règles. Il est donc normal qu’ils s’y plient. Et s’ils refusent, rien n’empêche un pays de sortir de l’Union comme le fait le Royaume-Uni. Mais cette présentation est pour le moins réductrice. Car la majorité au pouvoir à Rome ne veut ni sortir de l’euro, ni de l’Union. Son budget, aussi critiquable soit-il, respecte les traités européens et la sacro-sainte limite des 3 % du PIB de déficit public prévu par le Pacte de stabilité. Le gouvernement Conte refuse simplement de respecter les engagements budgétaires pris par la précédente majorité. Mais cela revient effectivement à s’affranchir des contraintes imposées par une série de textes adoptés par les Etats dans la panique lors de la crise de la zone euro entre 2010 et 2012 (le « six pack », le « two pack » et le Traité « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », TSCG).

Ce paquet de lois européennes a gravé dans l’acier non seulement la règle des 3 % du PIB de déficit, mais aussi l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette est devenus un objectif contraignant. Depuis 2013, chaque État doit suivre une feuille de route négociée avec la Commission et l’Eurogroupe, l’enceinte où siègent les ministres des Finances de la zone euro, afin d’éliminer à terme déficit et dette. En clair, l’obsession allemande de l’équilibre budgétaire est devenue l’alpha et l’oméga de la zone euro. Ce n’est pas un hasard, puisque ces textes ont été rédigés sous la dictée des conservateurs allemands qui ont réussi à les imposer pour prix de leur solidarité financière. On n’est plus très loin du pilotage automatique des budgets dont rêve Wolfgant Schäuble, l’ancien ministre des Finances, pour qui la politique de la nation est trop sérieuse pour être confiée à des politiciens (non Allemands s’entend).

A l’époque, personne n’a réfléchi au problème démocratique que poseraient ces textes. Car, si les gouvernements et les parlements nationaux ont une légitimité démocratique incontestable, dans le cadre de l’Union économique et monétaire, ni la Commission ni l’Eurogroupe (en tant qu’organe collectif) ne sont responsables devant aucun parlement, qu’il soit européen ou national. Autrement dit, la volonté des peuples est étroitement encadrée par un pouvoir autocratique qui n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Un résultat curieux pour une Union composée de démocraties nées de la volonté des peuples de contrôler les impôts et les dépenses publiques…

Une partie de la Commission est consciente des risques que comporte ce choc entre deux légitimités, celle des peuples qui élisent directement leurs représentants, et celle d’une Union dont la légitimité démocratique n’est qu’au second degré, une confédération d’États démocratiques n’étant pas forcément démocratique. Même si ce choc annoncé ne menace pas directement l’euro, l’illégitimité de sa gouvernance va apparaitre au grand jour. Et ce n’est pas la zone euro qui en sortira vainqueur. Non seulement elle n’a pas les moyens d’imposer quoi que ce soit à l’Italie, le pays n’étant pas en faillite, mais elle fournit un argumentaire en or aux démagogues sur l’incompatibilité de la démocratie et de la construction communautaire : « si la Commission nous déclare la guerre, je baserai toute ma campagne électorale là-dessus : l’Europe des bureaucrates contre le budget du peuple. » Si le but est de leur donner le pouvoir dans toute la zone euro, la méthode est la bonne.

La seule façon de résoudre ce choc de légitimité est de redonner de l’air aux États, en revenant sur les contraintes stupides décidées entre 2010 et 2012, et de créer un budget et un parlement de la zone euro.

Mais l’Europe a la fâcheuse habitude d’aller dans le mur avant de comprendre ses erreurs.

N.B.: article paru dans Libération du 15 novembre

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2018/11/18/budget-italien-un-choc-de-legitimites-dont-lue-ne-sortira-pas-vainqueur/

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