Le traité de Maastricht rétablira la souveraineté allemande dans un cadre accepté, européen, plus large et fédéral. Maastricht fut le traité de la réunification allemande et la première version de l’Europe « à vocation fédérale ».
Pourtant héritières d’une même souche issue du partage de l’empire de Charlemagne en 843, la France et l’Allemagne ont emprunté des voies divergentes d’où découleront la nature et la destinée de chacun de leurs états, mais surtout leurs rapports différents à l’Europe.
L’Allemagne est un état fédéral à l’unité récente et récemment retrouvée. Elle perpétue une longue histoire de morcellement territorial à l’origine de sa composition actuelle en différents Länders. Son histoire et sa géographie offrent une image inversée de ce qu’est devenue la France au fils des siècles, fortement centralisée dans un territoire unifié et délimité, un « hexagone », qui est devenu son deuxième nom.
Pour la France, l’idée de l’Europe ne fut jamais fondamentale. Elle manifeste dès l’origine, le mouvement d’extension d’un État fort de son unité nationale vers un espace dont elle n’a pas essentiellement besoin pour exister. L’Europe a été pour la France une terre de conquête. Construite « par le fer et par le sang » (4) à travers les régimes, frondes et révolutions, la France jusqu’à Vichy n’a jamais perdu sa souveraineté, fut-il royaume, empire ou république. De Gaulle s’inscrira d’ailleurs à son tour sans fausse honte, dans une telle pensée : « l’Europe, c’est le moyen pour la France de redevenir ce qu’elle a cessé d’être depuis Waterloo : la première au monde. »
Pour l’Allemagne au contraire, l’Europe naîtra précisément, très tard, du besoin d’émerger du désordre, du chaos et de l’impuissance laissées par l’effondrement des Reich successifs et des guerres dévastatrices. De par son caractère historique résultera pour elle l’exigence absolue d’une Europe politique et fédérale, l’Europe constituant la voie exclusive par laquelle elle pouvait pacifiquement se re-constituer en état. (1)
C’est ainsi qu’à la chute du mur de Berlin, le traité européen de Maastricht fut d’abord celui de la réunification allemande. L’union monétaire et la monnaie unique furent le facteur central de cette unification, absorbant le mark est-allemand dans le Deutschmark européanisé. Le traité de Maastricht rétablira la souveraineté allemande dans un cadre accepté, européen, plus large et fédéral. Maastricht fut le traité de la réunification allemande et la première version de l’Europe « à vocation fédérale ».
LAllemagne est sans doute le pays qui a le plus besoin d'Europe d'un point de vue historique, politique et économique. La période nazie, pendant laquelle Hitler essaya de créer une Europe imposée et dominée par le peuple allemand est loin d'être effacée. Cette honte pèse toujours et explique pourquoi les Allemands sont sans doute le peuple qui se tourne le plus vers l'Europe, vers une Europe démocratique et fédérale.
Bien que l’objectif primordial de la réunification allemande ne visait pas nécessairement la construction européenne, elle y a manifestement fortement contribué. Un évènement historique majeur qui voyait la renaissance d’une puissance continentale majeure au coeur de l’Europe continentale, trouva son dénouement pacifique dans une avancée notable de la construction européenne. Façon de constater avec Raymond Aron que si la construction européenne n’est pas le fait d’un grand plan d’intégration conçu par dessus les nations, elle se révèle être au cours des décennies « une nécessité historique inéluctable » (2).
Le Saint Empire romain germanique (Source 1)
L’an 800 voit l’avènement de l’empire de Charlemagne, qui sera ensuite partagé entre les héritiers en 3 vastes territoires lors du traité de Verdun en 843. À l’ouest, la « Francia Occidentalis », la future France qui dès Philippe le Bel va commencer à se constituer en État souverain. A l’est, la Francia « Orientalis » , la Germanie, futur noyau de l’Empire romain germanique. La partie centrale disparaîtra rapidement, appartenant alternativement à l’un ou à l’autre. « Ce traité du hasard à déterminé tout le destin de l’Europe » (5)
Malgré la fondation dès 962 du Saint Empire romain germanique, l’Allemagne ne s’est jamais constituée en Etat unitaire à l’intérieur de frontières établies, le peuple Allemand migrant même au cours du moyen âge en Europe centrale et orientale bien au delà des limites de l’Empire. Cet Empire, qui n’en avait que le nom, ne fut jamais qu’un agrégat de centaines de royaumes et de principautés n’ayant en commun ni institutions, ni monnaie, seulement une religion catholique, sans que son empereur ne puisse exercer un pouvoir fort sur ses sujets. Après les réformes éphémères de Napoléon puis de Bismarck qui réalisera l’unité allemande par « le fer et par le sang » (4) tout en laissant subsister des particularismes locaux puissants, après la centralisation forcée de la république de Weimar, la structure fédérale et démocratique imposée par les alliés lors de la création de la RFA après la seconde guerre mondiale correspondait chez les Allemands à une inspiration régionale. De plus, ceux-ci voulaient rompre avec tout système centralisé permettant un régime dictatorial, mais aussi avec tout modèle visant à gommer au nom de l’unité nationale et de l’indivisibilité de la nation, les spécificités régionales.
Le général De Gaulle et Konrad Adenauer firent la réconciliation des deux peuples mais ils tenaient tous les deux à leur conceptions respectives de deux logiques historiques distinctes. De Gaulle voulait une Europe permettant à la France un jeu diplomatique véritablement indépendant de l’Est et de l’Ouest, pour préserver sa singularité et sa liberté. Adenauer savait que la république fédérale d’Allemagne était totalement dépendante du soutien américain et ne pouvait exister hors du cadre d’une alliance atlantique intégrée.
Dans les années 1950, Walter Hallstein, président allemand de la commission européenne et supra nationaliste convaincu, voyait dans l’Europe le cadre où son pays pourrait retrouver la respectabilité et l’égalité des droits que le fanatisme et la défaite de Hitler lui avait fait perdre, puis acquérir le poids prépondérant que lui il vaudrait sans doute sa capacité économique et enfin obtenir que la dispute des frontières et de son unité soit assumée par un puissant ensemble européen.
Après la chute du communisme dans les années 1990, et les multiples transformations du système international qui en résultèrent, les questions fondamentales se posèrent à nouveau, et la logique historique refit surface. Pour pouvoir réunifier l’Allemagne, il fallait convaincre les anciens ennemis et vainqueurs d’hier, qui occupaient toujours le pays dans son ensemble. Il ne fallait effrayer ni l’est ni l’ouest, et se ménager une voie médiane pour réussir la réunification. Cette voie médiane sera celle de l’Europe dont l’architecture future fera référence à la « maison commune ». Le chancelier réaffirma que l’évolution de l’Allemagne vers l’unité ira de pair avec celle de l’Europe. Afin d’échapper à Moscou, tout en se faisant accepter à l’Ouest en étant encadré dans un ensemble occidental plus vaste, la question allemande fut traitée comme une brique fondatrice dans une architecture concernant l’ensemble de l’Europe et dans le processus des relations est ouest.
Durant la pérestroïka, la « maison commune » de Gorbatchev reprenait l’idée d’une confédération entre les deux Allemagnes, pour prévenir une véritable réunification en soumettant la RFA a une dépendance institutionnelle de principe tout en maintenant la RDA dans un système soviétique. Le chancelier allemand Helmut Kohl savait pertinemment que les États-Unis n’accepteraient jamais une dualité allemande dont la conséquence directe serait le gel de la participation effective de la RFA à l’OTAN et à la communauté économique européenne. Quoiqu’il en soit, l’URSS se trouva rapidement dans un état de décomposition, la contestation se propageant en quelques années aux autres pays du bloc de l’est. De plus son économie était en difficulté et elle ne pouvait plus soutenir financièrement la RDA. En échange de prêts financiers, la Russie accepta la réunification, sous la condition aussi qu’il n’y ait pas de troupes de l’OTAN sur le territoire de l’ex RDA.
La France fut confrontée à sa peur ancestrale d’une Allemagne redevenue puissante, qui par le passé récent lui avait déclaré deux fois la guerre. Une Allemagne réunifiée signifiait une Allemagne dominant la France du point de vue politique, industriel et économique. Plutôt que de s’y opposer à nouveau, il était préférable de s’adosser à elle, avec tous les autres états européens à ses cotés. Le président français Mitterand demanda un role accru pour la France et pour l’Union européenne pour traiter des affaires mondiales, ainsi qu’une monnaie unique, ce qui permettait d’accéder à une devise forte. Effectivement, bien que moins influent aujourd’hui, le couple franco-allemand disposa d’un fort pouvoir de décision.
Contrairement aux autres alliés, les Etats-Unis ne craignaient pas vraiment une Allemagne réunifiée et forte. De plus, cela faisait basculer le territoire de la RDA vers l’ouest et agrandissait donc la protection des alliés en repoussant la Russie aux frontières vers l’Est.
L’Angleterre, dont la première ministre Thatcher avait vécu la guerre et les bombardements, craignait elle aussi une Allemagne dominante. Mais l’Angleterre était elle même un ancien empire déchu et n’avait plus beaucoup d’influence à opposer. Elle finit par accepter la réunification.
Il s’agissait de déterminer la configuration et les principes de la nouvelle Europe dans laquelle l’Allemagne trouverait enfin sa place, en son centre, en organisant une future ouverture à l’est. Elle souhaitait avec la France, son partenaire privilégié, pouvoirs parachever l’accomplissement de la constitution d’une zone stable répondant à son espace historique. La monnaie unique était l’élément structurant de son aire politique. Le traité de Maastricht sera d’inspiration allemande, l’unification germanique se coulant dans une construction unie européenne dont le socle sera la monnaie unique. Le traité de Maastricht rétablira la souveraineté allemande, mais dans un cadre accepté plus large et fédéral. Maastricht fut le traité de la réunification allemande et la première version de l’Europe « à vocation fédérale ». Ce fut aussi le début du déséquilibre économique inéluctable en Europe au profit de l’Allemagne.
Helmut Kohl, l'homme de la réunification allemande (Sources 3)
Helmut Kohl sera l'homme qui prendra les affaires en main et imposera à l'Allemagne le rythme d'une union monétaire puis politique menée tambour battant. Au grand dam de la Bundesbank, c'est lui qui décide le fameux « un contre un », le remplacement du mark est-allemand à parité avec le glorieux Deutsche Mark. Et arrache au Kremlin l'adhésion de l'Allemagne réunifiée à l'Alliance atlantique.
Le processus d'absorption des cinq Länder de l'Est, véritablement titanesque, est donc étroitement lié à la construction européenne. Pour le chancelier allemand, les deux chantiers ne sont rien d'autre que « les deux faces d'une même médaille ». Sans la seconde, la première n'aurait tout simplement « jamais pu voir le jour ». "Cela restera toujours à mes yeux son mérite historique, d'avoir inséré solidement dans l'intégration européenne la réunification allemande »écrira l'ancien député européen Daniel Cohn-Bendit. « Il était l'essence même de l'Europe », a déclaré vendredi Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, un autre vétéran de la construction européenne.
Patriote, Helmut Kohl l'était. Mais pas nationaliste. C'était un Européen convaincu, qui contribua à ériger la « maison Europe », celle du marché unique et du traité de Maastricht. « Il n'y a pas d'alternative à l'unification européenne », disait-il. L'homme n'appréciait guère la gestion des affaires courantes, ni l'économie. Et même s'il imposa, contre vents et marées, une monnaie unique à une population viscéralement attachée au mark, l'Union européenne n'était pas, à ses yeux, une affaire de déficits et de maîtrise de l'inflation. « L'Europe est une question de guerre et de paix au XXe siècle. Nous, Allemands, avons besoin de l'Europe plus que tous les autres, afin de ne pas être de nouveau poussés par un destin singulier. »
Le chancelier savait de quoi il parlait. Un de ses oncles fut tué durant la Première Guerre mondiale, son frère aîné tomba pendant la Seconde. Lui-même fut contraint de prêter serment au Führer, à l'âge de quinze ans, avant d'errer, pour retrouver ses parents, dans un pays dévasté par les bombes. Une expérience « de la mort et de la destruction » qui explique pour une large part sa volonté de consolider le couple franco-allemand. Son amitié avec le socialiste François Mitterrand fit le reste. L'image reste dans toutes les mémoires : deux hommes photographiés de dos, main dans la main, devant le monument aux morts de Verdun. En seize années de pouvoir, Helmut Kohl s'est assuré une place de choix dans les livres d'histoire.
Sources:
(1) Impostures Politiques, Marie-France Garaud, Plon 2010
(2) « L’idée d’Europe est à la mode. Moins de trois années après la fin de la guerre, le thème de l’Europe, qui a joué un tel rôle dans la propagande hitlérienne, reparaît dans la propagande des Nations unies. .. Après tout, c’est peut-être une manière de rendre hommage à une nécessité historique inéluctable. » Raymond Aron, L’idée d’Europe, La Fédération, juin 1948.
(3) Les Echos
https://www.lesechos.fr/2017/06/helmut-kohl-lhomme-de-la-reunification-allemande-1115979
(4) Le discours du « Fer et du Sang » prononcé par le chancelier prussien Otto von Bismarck le 30 septembre 1862 devant la chambre des représentants de Prusse.
(5) René Grousset, 1946, historien français, spécialiste de l'Asie, et membre de l'Académie française
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