Plan Schuman: Un traité de Versailles II pour une paix des partenaires
- Christophe Carreau
- 19 juil.
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Après la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles (1919) fut conçu comme un instrument de paix, mais il s’imposa à l’Allemagne comme une punition. Privée de territoires, lourdement endettée par des réparations incommensurables, humiliée sur la scène internationale, l’Allemagne saignée à blanc sombra dans la rancœur. Cette paix imposée, dénuée d’esprit de réconciliation, nourrissait les ferments de la revanche. Le ressentiment collectif que provoqua Versailles alimenta le nationalisme, l’instabilité politique, et ouvrit la voie à la montée d’Hitler. Autrement dit, le traité censé clore une guerre en prépara une autre.
À l’inverse, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la situation est différente mais non moins périlleuse. L’Europe est en ruines, l’Allemagne vaincue est de nouveau au centre des interrogations : que faire d’elle ? La tentation de reproduire un Versailles II par la revanche aurait pu prévaloir. Pourtant, dans un retournement audacieux, des hommes comme Robert Schuman et Jean Monnet choisissent une voie radicalement nouvelle. Ils refusent de répéter l’erreur de 1919. Comme le raconte Paul Collowald, témoin direct de cette période, Schuman déclarait dès 1949 : «Il faut résoudre le problème allemand autrement qu’avec un traité de Versailles, la vengeance qui engendre Hitler, ce cercle vicieux infernal.» Il fallait inventer une paix fondée non sur la domination d’un vainqueur, mais sur la coopération d’égaux.
Le 9 mai 1950, dans une déclaration sobre mais révolutionnaire, Schuman propose la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Son essence ? Mettre en commun les ressources stratégiques – charbon et acier – de la France et de l’Allemagne, et bientôt d’autres pays européens. Non pas pour contrôler l’Allemagne, mais pour l’associer, en l’intégrant dès le départ comme partenaire à égalité de droits – la Gleichberechtigung. C’est là tout le contraire du traité de Versailles. Là où Versailles avait imposé, la CECA proposait de partager. Là où Versailles punissait, la CECA réconciliait. Ce n’était plus la logique de l’humiliation mais celle de la souveraineté partagée.
Tout est dit dans la première phrase de la Déclaration Schuman: « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent »
Ce geste n’était pas qu’économique. Il était profondément politique. En mettant ensemble les moyens de faire la guerre, Schuman et Monnet rendaient cette guerre non seulement impensable mais matériellement impossible. Le charbon et l’acier, instruments de conflit, devenaient instruments d’union. Le projet s’inscrivait dans une vision de long terme : celle d’une Europe unie. La déclaration Schuman ne se limitait pas à une entente franco-allemande ; elle annonçait, en dernière ligne, la perspective d’une fédération européenne, les « États-Unis d’Europe ».
Le parallèle est donc saisissant : là où le traité de Versailles de 1919 représentait une paix de vainqueur, lourde de rancunes, la CECA de 1951 incarne une paix de partenaires, ancrée dans l’idée de construire ensemble. La « Gleichberechtigung », ce mot allemand si central, qui signifie à égalité de droits, devient la clé de voûte du projet européen : ni domination, ni soumission, mais coopération.
La CECA ne fut que le premier pas. Elle jeta les bases d’un marché commun, qui devint plus tard le marché unique. Puis, par étapes, l’Union européenne. On peut alors dire, sans exagération, que le 9 mai 1950 marque la signature d’un traité de Versailles II, mais cette fois tourné vers la paix durable. Non par l’asservissement, mais par la volonté librement consentie de partager son destin avec ses anciens ennemis. Ce second traité, fondé non sur la vengeance mais sur la réconciliation, fut l’acte de naissance de l’Europe d’aujourd’hui.
Témoignage de Paul Collawald
Paul Collowald, qui nous a quittés le 8 juillet 2025 à 102 ans, avait suivi comme journaliste la Déclaration Schuman et les premiers pas de la Communauté du charbon et de l’acier, avant de devenir porte-parole à la Commission européenne puis directeur général de l’information du Parlement européen. Il avait livré à la Fondation Robert Schuman (https://www.robert-schuman.eu/ ) son témoignage sur la journée historique du 9 mai 1950 et sa vision de l’Europe aujourd’hui:

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