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Défense européenne et couple franco-allemand: la fin du cavalier-seul français?




Le couple franco-allemand serait en crise à cause d’une Allemagne infidèle. On l’accuse de vouloir faire « cavalier-seul », ce que la France s’était habituée à pouvoir faire seule depuis la fin de la guerre, sous couvert de pacifisme Allemand, de Gaullisme et de sacro-sainte souveraineté nationale. On accuse l’Allemagne de trahir la confiance dans un « couple » que seule la France considérait comme tel de ce coté du Rhin, pour obliger l’Allemagne à ses obligations vis à vis de son partenaire privilégié. Aujourd’hui, à l’heure de changements géo-politiques majeurs, la France s’offusque, crie à la trahison et théâtralise son courroux.


Vue de l’Europe, la situation est tout autre et il serait temps de cesser d’infantiliser les français en agitant leur fibre patriotique pour masquer plus longtemps une réalité historique et géopolitique devenue incontournable. La défense Européenne, malgré les incantations de la France qui l’aura systématique rejetée en refusant d’y céder une once de sa souveraineté, est depuis 1945, assurée par les Etats-Unis d’Amérique. Encore aujourd’hui, par la force des choses résultant de politiques de désarmement et d’orgueil nationaliste excluant tout partage de compétence, la défense européenne ne saurait être que américaine. Nous venons pourtant de changer d’époque. L’Europe ne peut plus être la « France en grand » qui veut rassembler derrière l’étendard de son cavalier-seul d’autres affiliés contributeurs. La France esseulée est depuis longtemps déclassée. Il ne sert à rien de maintenir ses citoyens dans l’illusion aussi fanfaronne que périmée, d’une grandeur nationale aujourd’hui dépassée. La vérité est que la France ne peut plus être sans l’Europe, et que l’Europe ne peut plus être sans l’Allemagne. Au prix d’un partage équilibré de compétences, d’autorité, de considération et d’estime réciproques, la France et l’Allemagne doivent former les deux jambes solides sur lesquelles l’Europe pourra se tenir et avancer.


Le Mouvement Européen France, dont l’ambition est d’offrir un point de vue véritablement européen, ne s’y trompe pas. « Une authentique « souveraineté européenne » ne saurait advenir sans une forme de partage des souverainetés nationales : si Berlin a cédé sur le mark il y a trente ans, fut-ce en façonnant la gestion initiale de l’union monétaire, sur quels enjeux Paris est-il disposé à jouer collectif dans ce qui constitue aujourd’hui le « nerf de la guerre » ? C’est sur la base de nouveaux critères de convergence en matière diplomatique, industrielle et politique que pourra advenir « l’Europe de la défense » prônée depuis des décennies par notre pays, et qui ne saurait se réduire au cavalier seul présidentiel ou à la « France de l’armement » : à nous d’en convaincre nos autorités et nos concitoyens – vaste et stimulant programme ! »

 

Petit historique de La Défense européenne, vue par l’Europe.


Après la guerre, ce furent les américains qui assurèrent l’existence et la défense du peuple allemand libéré du fascisme. A l’ouest, la dictature aura duré une décennie entière, avec les souffrances et les destructions que l’ont sait. La création de l’OTAN fut l’acte fondateur de la RFA, ce dont les allemands, peuple complètement ravagé au sortir de la guerre, au contraire des français qui réussiront à consolider une fierté de vainqueurs qu’ils n’étaient pas, seront reconnaissants encore pour longtemps. C’est à cette époque que le Gaullisme français fit échouer la première tentative d’une défense européenne, la Communauté Européenne de Défense (CED).



A l’est en Allemagne et en Europe, la dictature se prolongea 45 années de plus, pendant un demi-siècle de guerre froide. Et une fois encore, se furent les américains avec toute leur puissance, aussi bien technologique que économique, qui gagnèrent cette guerre. Ils libérèrent les allemands de l’Est ainsi que tous les pays d’Europe orientale du joug soviétique, et sauvèrent l’Europe de l’ouest, dont la France, de l’invasion soviétique. La victoire de l’OTAN ouvrait une nouvelle aire, celle de la réunification de la nation allemande et de sa reconnaissance impérissable au protecteur américain, ce que les français rechignaient de faire en versant dans un anti-américanisme qui lui offrait un statut d’opposant capable de contester, afin de sauver un peu plus longtemps son rang déclinant de puissance mondiale.



Cette peur profonde du déclassement et le maintien de sa puissance fut sur le continent européen la grande préoccupation française que les grands changement géo-politiques pouvaient transformer en angoisse. A chaque fois que l’Europe centrale, la « MittelEuropa », s’affirmait à nouveau en provoquant un glissement du centre de gravité du continent de l’ouest vers l’est, la France s’est sentie menacée et a déterminé sa politique européenne pour oeuvrer contre. Contre « l’Ostpolitik » de l’Allemagne, la France, pourtant jusqu’alors farouchement opposée à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté Économique Européenne (CEE), finit par l’accepter en 1973 pour équilibrer les forces en présence. Contre la réunification allemande et la renaissance du plus gros état en Europe qui devait par la force des choses en devenir la première puissance, la France exigea de l’Allemagne l’abandon du Deutchmark pour l’arrimer aux autres économies de la CEE avec le traité de Maastricht en 1992. Les élargissements successifs de l’Union à l’Est provoquèrent également de grandes tension que devait résoudre, péniblement pour la France, le traité de Nice dans les années 2000. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine provoque un nouveau basculement géo-politique de grande ampleur, en faisant de l’Ukraine un future partenaire de la communauté européenne, ce qui déplacera encore plus son centre de gravité vers l’est, et surtout en provoquant le réveil soudain du colosse allemand assoupi qui vient de briser ses peurs historiques en se lançant son réarmement, avec l’objectif de devenir la première puissance militaire continentale d’ici 2030. « Il s’agit à chaque fois de s’ajuster à des mouvements géopolitiques générés en Europe centrale et orientale, et qui placent de fait l’Allemagne dans une position clé, au grand dam des élites hexagonales. » relève Yves Bertoncini (1).


De façon aussi précipitée que maladroite semble-t-il, l’Allemagne se jette dans un « cavalier-seul » effréné en dénonçant tous les projets d’armement franco-allemand en cours. Elle lance son propre projet de défense anti-aérienne, qui ambitionne de fédérer derrière elles les pays de l’Europe centrale, à l’exclusion de la France et de l’Italie qui développaient déjà un tel projet et qui ont donc refusé de s’y joindre. Elle conteste à l’industriel français Dassault la place de maître d’oeuvre auquel il prétend dans le programme du futur avion de chasse SCAF et de ses systèmes connectés, et réclame une responsabilité d’égal à égal. Les politiques et les média en France crient à la trahison, le président E. Macron théâtralise son courroux. On dénonce la traitrise à l’esprit européen et on s’effraie de la toute puissance allemande.


En vérité, l’Allemagne est fatiguée de devoir avaler la monolithique souveraineté nationale de la France qui ne concède pas une once de son indépendance pour bâtir un début de défense européenne avec elle. En vérité, l’Allemagne est affaiblie par la nouvelle donne géo-politique qui casse presque tous ses choix politiques et économiques récents comme autant de grossières erreurs stratégiques.


Une Allemagne lassée


Sous couvert de souveraineté européenne et d’industrie de défense européenne, la France n’a eu de cesse tout au long des dernières décennies de privilégier jalousement son indépendance et sa technologie. Les grands projets franco-européens cachent mal aujourd’hui leur dominante française. Ces projets rassemblent traditionnellement derrière l’étendard de son cavalier-seul d’autres affiliés contributeurs. Pourtant l’Allemagne, à plusieurs reprises, a voulu ouvrir le débat sur un véritable partenariat stratégique avec la France.


Elle tenta de discuter d’un parapluie nucléaire français, ce qui fut soigneusement écarté par Paris, ne laissant la discussion ouverte que pour des manoeuvres conjointes et l’élaboration d’une culture stratégique commune.



Elle tenta aussi de proposer que le futur porte-avion à propulsion nucléaire soit conjoint. On aurait pu rêver que les allemands développent les catapultes électro-magnétiques dont les français ne maitrisent pas la technologie, mais que ces derniers préfèrent acheter sur étagère aux Etats-Unis, abandonnant ainsi une partie de leur autonomie puisque des techniciens américains doivent rester à bord pour les faire fonctionner, ou au besoin, pouvoir les bloquer. On aurait pu rêver d’un tel porte-avion nommé « Konrad Adernauer » en complément du « Charles de Gaulle », avec des chaudières nucléaires françaises et des avions SCAF franco-allemands sur le pont. La proposition, qui n’avait rien d’une utopie, fut poliment rejetée par la ministre de La Défense Florence Parly qui déclarait sur RMC en mai 2019 qu’on « n’en est pas encore tout à fait là » (2).


Et encore aujourd’hui, l’industriel français Dassault bloque le projet de l’avion franco-allemand afin de garder toute la maitrise technologique et reléguer les industriels allemands au second rang. L’Allemagne, pressée de renforcer sa défense et celle des européens vient de mettre la France au pied du mur pour lui faire cesser son cavalier-seul et pouvoir discuter sérieusement d’égal à égal.


Ce que Y. Bertoncini souligne ainsi: « Emmanuel Macron a aujourd’hui bien compris la nécessité de promouvoir une « souveraineté européenne » afin de mieux peser au niveau international: il lui reste à accepter pleinement que cette souveraineté sera par nature construite sur le partage des souverainetés nationales, comme ce fut par exemple le cas en matière monétaire. C’est désormais en matière de diplomatie et de défense que l’essentiel va se jouer, et qu’il s’agit pour la France et l’Allemagne de mieux converger, y compris en matière industrielle. « L’Europe de la défense », ça ne peut pas être la France de l’armement : l’Allemagne n’est pas la seule à devoir bouger et à faire des compromis. Les réflexes qui nous ont conduit à rejeter la « Communauté européenne de défense » dans les années 50 pourraient sinon bien produire les mêmes effets délétères aujourd’hui… » (1)


Une Allemagne fragilisée


Le déclenchement de la guerre en Ukraine, et la crise énergétique qui en résulta, aura brutalement fait flancher l’assise de la puissance allemande en lui faisant amèrement regretter ses choix stratégiques récents: fermeture de son parc de centrales nucléaires d’ici 2022, choix du gaz d’importation russe et construction d’un gazoduc spécialement dédié. De surcroit, son industrie manufacturière repose sur un marché d’exportation vers la Chine, dont l’économie ralentit en frôlant la récession, et dont le régime politique ne masque plus ses méthodes autocratiques et dictatoriales, ni sa politique d’influence agressive et ses prétentions territoriales en Asie du Sud Est. L’Allemagne se retrouve dépendante d’un marché qui pourrait entrer en récession et d’un Etat sulfureux.


Quant à sa soi disant influence sur l’Europe centrale dont les pays se rallieraient derrière elle, il est bon de rappeler que ses relations diplomatiques avec la Pologne, qui lui réclame plus de 1300 milliards d’euros de dédommagement pour l’invasion de la seconde guerre mondiale, sont au plus bas. C’est assurément une dote que l’on regarde à deux fois avant de vouloir se marier.


Y a-t-il une alternative au couple franco-allemand? Nous pouvons conclure que non avec Y. Bertoncini. Les deux pays sont, plus que jamais, condamné à s’entendre.


« La « nouvelle ère » ouverte par la guerre en Ukraine place certes l’Allemagne dans une situation de faiblesse énergétique et économique temporaire, mais aussi dans une situation de force du point de vue budgétaire et diplomatique : c’est ce dont témoigne le double signal envoyé par Berlin via son programme d’investissement militaire de 100 milliards d’euros et son plan anti-crise énergétique de 200 milliards d’euros (sur 2 ans).

Désormais, et plus que jamais, la France veut et l’Allemagne peut en matière européenne : cela ne veut pas dire que la France n’a pas raison et que l’Allemagne n’a pas tort, mais cela doit inciter Paris à être d’autant plus habile et humble dans la construction de ses positions communes avec Berlin.

(..)

Certains des prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont déjà essayé de miser sur une alliance alternative : ainsi de Pompidou, puis de Sarkozy, avec le Royaume-Uni, désormais hors de l’UE et affaibli ; ainsi de François Hollande avec l’Italie ou les pays du Sud de l’UE, également courtisés par l’hôte actuel de l’Elysée. Déjà limitée par la tiédeur de notre atlantisme, notre aversion au libéralisme et notre arrogance coutumière, l’attractivité française auprès des pays d’Europe centrale ou nordique a encore diminué avec la guerre en Ukraine, alors que l’Allemagne est géographiquement, économiquement et culturellement mieux placée pour les reconquérir…

Au final, tous nos chefs d’Etat ont pu constater que ces alliances alternatives n’avaient pas le même potentiel que celle du « moteur » franco-allemand, et qu’elles avaient surtout pour but de permettre à la France de mieux peser vis-à-vis de Berlin. On peut dès lors parier que le 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée en janvier prochain sera l’occasion de réaffirmer la force de l’engagement franco-allemand en adaptant ses modalités et son contenu à la nouvelle donne géopolitique. »(1)


Quant au « couple » franco-allemand, il serait bon d’admettre enfin que l’expression n’existe que du coté français, alors que l’on préfère parler de « moteur » coté allemand, sans pour autant le considérer comme crucial et unique en Europe. Certains commentateurs en France comparent même l’expression française à la soi disante « relation privilégiée » dont se targue le Royaume Uni vis à vis des Etats-Unis, mais que l’on entend que sur l’île britannique, et qui ne sert qu’à masquer le déclassement du pays et à flatter, tant que l’on pourra, la fierté nationale.



Sources:


(1) Atlantico, « La discrète mais très nette inflexion européenne d’Emmanuel Macron » Octobre 2022, Yves Bertoncini, président du Mouvement Européen France


(2) La Tribune, "Pourquoi pas un porte-avions franco-européen?"


Dominique de Villepin, FranceInter "Le couple franco-allemand diverge, nous ne pouvons pas nous le permettre"


Baverez, Rencontre Macron-Scholz : "La France est affaiblie, elle dépend de l'Allemagne aujourd'hui"


Yves Bertoncini, La France et l’Allemagne à l’heure ukrainienne : pour une « nouvelle ère »


Hubert Védrine, "Il n'y a plus de couple franco-allemand depuis longtemps"





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